par Maja Brick
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie mercredi 12 novembre 2014
Jean-Pierre Améris s’inspire pour son nouveau film d’une histoire vraie qui s’est déroulée en France à la fin du 19e siècle.
Marie Heurtin, son héroïne de 14 ans, est sourde et aveugle, enfermée sans espoir dans son monde incommunicable.
Elle est issue d’un milieu modeste, son destin aurait dû la conduire à l’hôpital psychiatrique. Toutefois, son père la confie à des religieuses, et une rencontre miraculeuse va l’extraire de son isolement.
Une jeune nonne, atteinte d’une maladie incurable, découvre sa vocation en s’acharnant à lutter contre le handicap de Marie.
Sa tâche se révèle rude, car la sauvageonne se révolte contre toute tentative de la civiliser.
Les premières scènes du film, montrent sa sensibilité aux phénomènes de la nature et à l’affection humaine. C’est grâce à l’amour partagé que l’impossible s’opère.
Le film d’Améris évoque évidemment L’Enfant sauvage, de Truffaut, autre histoire d’un sourd-muet attardé qui accède au langage après les efforts longs et patients du docteur Itard à Paris. Le savant avait une méthode efficace, mais surtout de l’affection pour son patient.
Chez Améris, le même sentiment, proche de la foi, paraît aussi un remède, le meilleur même.
De nombreuses scènes, s’achevant sur des échecs, montrent la ténacité de l’éducatrice. Éduquer, synonyme ici d’apprivoiser, ne se fait pas sans violence, donc sans résistance et refus. Dès le début, il ne s’agit pas seulement d’ouvrir la jeune fille au monde des hommes mais d’établir un véritable lien d’amour, par lequel la religieuse malade cherche à sauver sa propre âme. Le rapport entre les deux femmes est fusionnel, plein de sensualité. L’apprentissage ne peut se faire que par le contact charnel des corps, des mains, parfois brutal, mais le plus souvent tendre.
De toute évidence, le choix des interprètes n’a pas été facile pour le réalisateur.
La jeune fille handicapée est jouée par Ariana Rivoire, lycéenne à Chambéry, elle-même sourde, et qui rend avec une véracité frappante sa propre expérience.
La religieuse est interprétée par Isabelle Carré, profondément engagée dans son rôle - elle a appris le langage des sourds spécialement pour le tournage. Marquée par la rencontre avec sa partenaire, elle continue depuis de se perfectionner dans cette technique,
Le film montre la naissance d’une femme non seulement capable d’échanger avec son entourage, mais aussi de concevoir l’idée de Dieu, de la mort, du deuil, de la séparation.
En ce sens, l’apprentissage de la jeune Marie va loin, plus loin même que la foi de la religieuse.
Qui sauve qui dans cette relation passionnelle dont l’enjeu ultime est l’ouverture à la vie et à la connaissance de la mort ?
Améris pose cette question sans pathos, d’une manière simple et sobre, attentif au concret.
Maja Brick
Jeune Cinéma en ligne directe (12 novembre 2014)
Marie Heurtin. Réal : Jean-Pierre Améris ; sc : JPA, Philippe Blasband ; ph : Virginie St-Martin ; mu : Sonia Wieder-Atherton ; mont : Anna Souriau. Int : Ariana Rivoire, Isabelle Carré, Brigitte Catillon, Laure Duthilleul (France-Suisse, 2014, 95 mn)