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Norma Rae (1978)
de Martin Ritt
publié le jeudi 4 décembre 2014

par Claude Benoît
Jeune Cinéma n°120, juillet-août 1979

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1979, Prix de la meilleur actrice pour Sally Field
Oscar 1980 de la meilleure actrice pour Sally Field et de la meilleure musique pour David Shire et Norman Gimbel pour la chanson It Goes Like It Goes.

Sorties les mercredis 30 mai 1979 et 16 novembre 2011.


 


Portrait aigu et émouvant d’une jeune femme simple qui se bat pour conquérir sa liberté et affirmer sa dignité, Norma Rae prolonge et approfondit - avec quelle vigueur et avec quelle cohérence - le propos que tient opiniâtrement Martin Ritt dans cinq des sept autres films qu’il a réalisés depuis 1970 : Les Molly Maguires, L’Insurgé, Sounder, Conrack et le Prête-nom. (1)
Le cinéaste qui se penche sans démagogie ni complaisance, sur le sort des humbles, des pauvres, des travailleurs, inscrit à nouveau son récit dans un contexte social, historique et géographique très précis : une filature de coton, dans une bourgade archaïque du Sud des États-Unis, en 1978. Et là encore, il se montre soucieux de donner une dimension collective au destin individuel de son personnage principal, qu’il dépeint par ailleurs avec chaleur et tendresse.


 


 

Norma Rae a trente ans. Veuve, mère de deux enfants (le second est illégitime) habite avec ses parents - un couple d’ouvriers traditionalistes et respectueux des patrons - une modeste maison, elle travaille dans l’unique usine de Henleyville, petite ville sudiste à l’atmosphère ouatée.


 

L’irruption soudaine dans sa ville et dans son usine, d’un militant syndicaliste, professionnel, Reuben Warshovsky (Ron Leibman) - un intellectuel juif new yorkais, solide et décontracté - venu créer une section locale du Syndicat américain des travailleurs du textile, va la transformer.

À son contact, Norma Rae, incarnée magnifiquement par Sally Field, la merveilleuse Mary Tate de Stay Hungry de Bob Rafelson (2) - qui est déjà, à sa façon, intuitive et contradictoire, une femme libre, apprend à mieux connaître sa liberté et à lui donner un sens : à assumer ses contradictions, à s’accepter elle-même et à se faire accepter par les autres.


 

En fin de compte, le film de Martin Ritt retrace un double combat : celui, professionnel et militant, de Reuben et celui, personnel et politique, de Norma.

La description de l’itinéraire du premier est très instructive et nous en apprend beaucoup sur la pratique professionnelle des syndicats américains.
Reuben arrive un matin à Henleyville, seul avec une machine à écrire, une ronéo, du papier, des badges et des cartes syndicales. Il s’installe dans une chambre de motel - il aurait préféré vivre chez l’habitant, mais l’hospitalité du Sud n’est pas pour les syndicalistes. Il fait immédiatement le siège de l’usine : distribution de tracts, organisation de réunions publiques - elles ont lieu dans une église noire et sont, au début peu fréquentées -, affichage dans les ateliers, recrutement de militants (noirs et blancs), préparation des élections (qui seront victorieuses).


 

De toute évidence Reuben a l’expérience de ce genre de travail et il connaît à fond la loi et le droit social. La séquence de son entrée dans l’usine, où il bouscule les cadres et les contremaîtres, en énonçant simplement les articles de la Constitution sur la liberté syndicale est assez extraordinaire. Il démontre aussi une réelle autonomie d’action avec la scène où il met à la porte les deux "boss" du syndicat venus lui faire la leçon.
Mais s’il révèle un certain sens des rapports humains, il ne peut pas gagner seul.


 


 

De son côté, Norma Rae fait des apprentissages multiples et variés, qui aboutiront à un résultat essentiel : liberté et dignité.
Norma apprend en effet à distendre des liens familiaux trop serrés, à ignorer les préjugés et le qu’en dira-t-on. Elle fait l’expérience durable d’une vie de couple ouverte avec un divorcé père d’une fillette, et celle, passagère, d’une nuit en prison.


 

Elle découvre la culture avec les poèmes de Dylan Thomas, la solidarité dans la lutte, la force des travailleurs lorsqu’ils sont unis, et aussi quand ils agissent par eux-mêmes : c’est son initiative individuelle qui déclenche la grève et provoque le mouvement, quand, mise à pied, Norma monte sur une table de l’atelier en brandissant une pancarte où elle a écrit "Union" (3).


 

Bagarreuse, entière parfois, généreuse souvent, Norma Rae est un personnage féminin admirable, et c’est tout à l’honneur de Martin Ritt de l’avoir rendue vraie et bouleversante. On adore en particulier le moment où, entendant, dans un bar, au juke box, une chanson de Johnny Cash, elle évoque, en quelques mots simples et poignants, la mort de son mari.

Après Blue Collar de Paul Schrader, quelques séquences importantes des Chaînes du sang de Robert Mulligan et The Deer Hunter de Michael Cimino, (4) il semble que le cinéma américain s’intéresse de plus en plus au monde ouvrier, dans toute sa diversité.
Sur ce plan, Martin Ritt est un précurseur avec ses dockers ( L’homme qui tua la peur ), ses mineurs (Les Molly Maguires) et ses ouvriers agricoles (Sounder.) (5) Norma Rae est une œuvre très achevée, très claire, d’inspiration presque "socialiste libertaire".
On parle beaucoup, en ce moment, dans les milieux progressistes, des attraits ou des dangers de la gauche américaine. Mais la gauche américaine, c’est quoi ? C’est Norma Rae.

Claude Benoît
Jeune Cinéma n°120, juillet-août 1979

1. Les Molly Maguires (Traître sur commande, 1970), L’Insurgé (The Great White Hope, 1970), Sounder (1972), Conrack (1974) et Le Prête-nom (The Front, 1976).

2. Stay Hungry de Bob Rafelson (1976).

3. "Union" : Syndicat.

4. Blue Collar de Paul Schrader (1978) ; Les Chaînes du sang (Bloodbrothers) de Robert Mulligan ; The Deer Hunter (Voyage au bout de l’enfer) de Michael Cimino (1978).

5. Cf. note 1. L’homme qui tua la peur (Edge of the City, 1957).


Norma Rae. Réal : Martin Ritt ; sc : Harriet Frank Jr. & Irving Ravetch ; ph : John A. Alonzo ; mont : Sidney Levin ; mu : David Shire. Int : Sally Field, Beau Bridges, Ron Leibman, Pat Hingle, Barbara Baxley, Gail Strickland, Morgan Paull, Robert Broyles, John Calvin, Booth Colman, Frank McRae, Lonny Chapman (USA, 1978, 110 mn).



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