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Electra Glide in Blue (1973)
de James William Guercio
publié le vendredi 21 novembre 2014

par Vincent Dupré
Jeune Cinéma n°335 décembre 2010

Les phénomènes d’interaction filmique sont trop souvent repérés et analysés d’après leur seul aspect positif - citation, référence, imitation, emprunt…
La variation amoureuse, perçue comme plus féconde, retient davantage l’attention que la relecture critique.

Or l’interfilmicité, pour être complète, se doit de ne pas négliger les relations de rejet et de contradiction qui nourrissent les formes filmiques.
Une grande œuvre peut naître d’une autre, par volonté d’antithèse.
Solaris, par exemple, a été produit en réaction à 2001, l’Odyssée de l’espace : réaction artistique, formelle, spirituelle de Tarkovski à Kubrick ; réaction idéologique et symbolique de l’Union soviétique aux États-Unis.

Le caractère profondément séduisant et singulier d’ Electra Glide in Blue (1) tient à sa nature duelle : c’est un film structuré par un rapport double, de tribut et de rejet, à des référents classiques et contemporains.

Le tribut est celui rendu à l’esthétique hollywoodienne en général, à l’iconographie westernienne en particulier, au pictorialisme de Ford pour être précis, à celui de La Prisonnière du désert pour l’être tout à fait.

À l’inverse de la tendance moderne qui procède, au début des années soixante-dix, par éclatement des conventions génériques, James William Guercio (2) assume un esprit passéiste en ponctuant son film de paysages de western, captés en plans fixes ou en panoramiques, et qui agissent comme des respirations dans le récit, des bouffées de nature et d’éternité dans un monde corrompu, déréglé, nihiliste.

Dans un geste d’une grande sincérité, ni maniériste, ni mimétique, il réactive par les moyens les plus simples l’imagerie et le souvenir d’un cinéma perdu, envisagé comme un espace de ressource.
Un plan sur le ciel de Monument Valley où se découpe, perchée sur une crête, la silhouette d’un policier et de sa monture, en lieu et place du cow-boy et du cheval d’autrefois, suffit à introduire une dimension nostalgique et une tonalité lyrique dans un film qui refuse de céder à la dérision, à la déconstruction, au pastiche.
Cette empreinte est ici transparente, revendiquée, représentée, au lieu d’irriguer souterrainement l’inconscient fictionnel comme dans d’autres films du Nouvel Hollywood (Taxi Driver, Rencontres du 3e type, Hardcore…).

Electra Glide in Blue a un modèle, il a aussi, au sens propre, une cible : Easy Rider (et à travers lui toute une tendance du cinéma et de la société américains).

Le film de Dennis Hopper est pris à partie à deux reprises : une première fois explicitement, lorsque le policier effectue sa séance de tir sur une photo du film, et une seconde fois implicitement, dans sa manière d’en proposer une fin inversée qui fait des hippies des bourreaux et non des victimes.

Electra Glide in Blue, film "contre contre-culture" ?

On y a vu, à tort, une glorification de l’ordre établi et des valeurs conservatrices pour la simple raison que James William Guercio adopte le point de vue opposé de Dennis Hopper et fait d’un policier, de surcroît intègre et sympathique, le personnage principal de son film (on a bien pris soin, à l’époque, d’ignorer la folie, la bêtise et la corruption qui l’entourent).

Faut-il rappeler que le cinéaste était lui-même un agent de la contre-culture (producteur et compositeur de musique rock), et non un cinéaste réactionnaire d’Hollywood en service commandé ?
Son film doit être vu comme l’indispensable contradiction à la naïveté, au manichéisme et à la platitude formelle du film d’Hopper.

Guercio peut se permettre de prendre en charge le contrechamp du Flower Power puisqu’il sait que la modernité est affaire de forme, non de mœurs.

Cette forme, l’ouverture et la conclusion, qui mettent en scène deux meurtres, en résument la dynamique : à l’esthétique du gros plan et de l’hyperdécoupage du générique qui se déroule dans une ambiance sombre et moite, répond par contraste le plan-séquence final, consistant en un magistral travelling arrière à ciel ouvert.

Entre ces deux séquences sanglantes, le film offre une grande variété formelle, avance par à-coups, travaille des transitions brutales, néglige son intrigue (une enquête policière plutôt convenue), multiplie les ruptures de ton et de rythme, fait durer les plans ou les fait s’affoler pour composer d’étranges ballets, comme dans la scène du revêtement de l’uniforme, remarquable de fétichisme ironique.

Moins homogène, moins compact, moins autiste que Macadam à deux voies mais aussi solitaire, Electra Glide in Blue s’impose avec le film de Monte Hellman comme l’autre grand road-movie du Nouvel Hollywood.

Vincent Dupré
Jeune Cinéma n°335 décembre 2010

1. DVD Wild Side 2009.
2. James William Guercio 

Electra Glide in Blue. Réal : James William Guercio ; sc : Robert Boris ; ph : Conrad Hall ; mu : J.W.G.. Int : Robert Blake, Billy Bush, Mitchell Ryan, Jeannine Riley, Elisha Cook (USA, 1973, 114 mn).

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