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Tu mourras à vingt ans (2019)
de Amjad Abu Alala
publié le mercredi 12 février 2020

par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection de la Mostra de Venise 2019

Sortie le mercredi 12 février 2020


 


Ce premier film de Amjad Abu Alala (prix Lion du futur à Venise 2019) et Talking about Trees de Suhaib Gasmelbari annoncent le printemps du cinéma soudanais, quasi inexistant depuis l’indépendance du pays en 1956. (1) Ce dernier dit avoir été le premier depuis plus de trente ans à avoir tourné un long métrage à Khartoum, sous le régime islamiste de Omar el-Béchir. Abu Alala, lui, a débuté le tournage, lors de la révolte de décembre 2018 qui a provoqué sa chute.


 


 

Dans un village entre le Nil blanc et le Nil bleu, le temps s’est enrayé. Saskina se rend à la mosquée afin qu’un vieux cheikh renommé bénisse son enfant. Parmi les derviches, un homme en transe égrène des nombres, au numéro vingt il tombe comme foudroyé. La prophétie de la mort annoncée frappe le nourrisson.


 


 

Alnoor, le père, effaré, décide de partir travailler au loin. Saskina, après avoir maintenu Muzamil dans l’isolement, accepte qu’il fréquente l’école coranique. La cruauté des gamins, qui enferment "le fils de la mort" dans un coffre hermétique, redouble celle que la mère, hantée par sa croyance nourrie d’obscurantisme, exerce à son corps défendant. Son apparition en pietà dit l’ambiguïté de cet amour maléfique et sa singularité parmi les villageois.


 


 

La vieille Nafissa, qui s’habille en blanc pour la mort de son fils, la raille de porter le deuil en noir de son fils vivant. Soumis à la fatalité en psalmodiant le Coran, Muzamil trouve des échappées. Au bord du Nil, il rencontre Naïma, le vert paradis des amours enfantines qu’il laissera s’étioler, en âge de se marier, dans les affres du chagrin.


 


 

Adolescent, quand l’épicier l’envoie porter un paquet chez Suleiman, un photographe voyageur, un ailleurs se révèle. Ce dernier vit à la marge du village ; ironique et mécréant, il l’affranchit de son ignorance et lui passe des films. Images de Khartoum où des couples dansent, ou de Hind Rostom, l’actrice de Gare centrale (2). Le retour d’Alnoor, amer, usé, brouille les repères paternels de Muzamil.


 


 

De l’ombre à la lumière, la belle composition des plans structure le récit, parfois sans parole : espace de liberté accordé au regard. À deux reprises, dans le couloir du logis, Muzamil apparaît en fantôme ; enfant, quand il revient du fleuve, lieu interdit ; adolescent, après le mariage de Naïma et le rêve des derviches en barque sur le Nil. L’incertitude plane jusqu’à la fin sur son destin, dont il se libère en enfreignant un tabou.


 

Mustapha Shehata, le jeune acteur, non-professionnel, incarne avec brio les contradictions qui l’écartèlent entre apaisement et souffrance, servitude et révolte.
Un désir fou de liberté et de cinéma.

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le pionnier du cinéma soudanais est Jadallah Jubara ou Gadalla Gubara (1921-2008). D’abord officier dans l’armée anglaise pendant la Seconde Guerre mondiale, il est le premier réalisateur et producteur soudanais. En 1969, avec ses amis, Ousmane Sembene, Trinite Bassori, Moustapha Alassane, il crée le Festival panafricain du Cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Sa fille cinéaste, grâce à la documentariste Katharina von Schröder, œuvre à la sauvegarde et à la numérisation de ses films qui montrent le Soudan et la Khartoum cosmopolite, multiculturelle, balayée par les dictatures islamistes. Il a réalisé une centaine de documentaires et quatre longs métrages dont Tajooj (1979). Frédérique Cifuentes lui a rendu hommage, en 2008, dans son documentaire, Cinéma au Soudan. Conversations avec Gadalla Gubara.

2. Gare centrale de Youssef Chahine (1958). Amjad Abu Allala a découvert le cinéma avec les films de Chahine. Son court métrage Studio (2012) a été supervisé par Abbas Kiarostami.


Tu mourras à vingt ans (You Will Die at 20). Réal, sc : Amjad Abu Alala ; sc : Youssef Ibrahim ; ph : Sébastien Goepfert ; mont : Heba Othman ; mu : Amine Bouhafa. Int : Mustapha Shehata, Islam Mubarak, Mahmoud Elsaraj, Bunna Khalid, Alal Afifi, Moatasem Rashid, Asjad Mohamed (Soudan-France-Égypte-Allemagne-Norvège, 2019, 105 mn).



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