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Amare amaro (2018)
de Julien Paolini
publié le mercredi 19 février 2020

par Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 18 février 2020


 


De l’aube à l’aurore, sous un ciel plombé, un gamin crie "Il est mort", en dévalant les rues désertes d’un village sicilien en bord de mer. Julien Paolini convoque le mythe d’Antigone, citation de Sophocle à l’appui : "Un mort n’a pas besoin d’être tué deux fois". Gaetano, le boulanger franco-italien, se voit interdire l’inhumation au village de son frère.


 


 


 

Dans une scène théâtrale, Enza, la maire, au milieu de son salon bourgeois, en présence de Marcello, l’officier de police, justifie sa décision à Gaetano, qui apprend que le patron du bar a tiré sur son frère. Elle veut éloigner l’étranger par lequel le désordre est arrivé en provoquant la mort de deux Siciliens.
Les femmes sur les terrasses ("Les Français aussi sont en deuil"), les gens du village commentent l’événement, composant le chœur.


 


 

Le marchand de légumes : "Le père Orlando, il préférait les vignes du seigneur au seigneur", "Le bar aussi est mort, il nous l’a bousillé, le Français". Les mots de la xénophobie assortis de la malédiction des morts viennent paradoxalement de trois jeunes. Gaetano ne cèdera pas. La terre où sa mère est enterrée doit accueillir le frère, quand bien même c’était "un salopard, mais pas un assassin". Son père le Français voit les gens se détourner quand il tente de leur donner le faire-part de deuil.


 

L’ambitieuse Enza (la belle Celeste Casciaro) exerce sa loi d’airain, qu’elle arrime à la tradition clanique périmée de la vendetta. Elle parle le langage du pouvoir à sa fille Anna - amoureuse de Gaetano - en termes de cité et de souverain, dans l’ombre de Créon. Anna lui oppose qu’elle règne sur un désert, une cité figée, sans vie.


 


 

La balade avec la mort, le périple du corps de Giosuè, se doublent d’une cavale amoureuse. L’ironie grinçante (la scène chez le boucher et le vol de l’ice-truck de Vaniglia, le benêt marchand de glace) s’estompe vite quand le couple rencontre les maffieux dépêchés par Marcello dans les paysages de montagne.


 

La tragédie nocturne finale dans le cimetière réunira, lors de la veillée funéraire, Enza, mater dolorosa et le père de Gaetano, admis dans le cercle des Siciliens.
La lumière naturelle souvent crépusculaire souligne le passage du temps. La mise en scène d’espaces vides décrit un coin de Sicile pauvre, hivernal et engourdi.


 


 

Julien Paolini puise dans le mythe la distanciation avec sa double culture. Il en fait la métaphore de l’ostracisme qui frappe les étrangers échoués dans les pays du Sud. Un premier film prometteur, grand prix festival polar de Cognac.

Claudine Castel
Jeune Cinéma en ligne directe

* Le titre Amare amaro évoque le poète baroque Pierre de Marbeuf (1596-1645) qui écrivait :
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
"


Amare amaro. Réal, sc : Julien Paolini ; sc : Samy Baaroun ; ph : Tristan Chenais ; mont : Gwen Ghelid ; mu : Pasquale Filastò. Int : Syrus Shahidi, Virgina Perroni, Celeste Casciaro,Tony Sperandeo, Dino Favuzza, Ciro Petrone (France-Italie, 2018, 90 mn).



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