par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection du 64e Forum Berlin 2014
Sortie mercredi 26 novembre 2014
En un peu plus d’une heure quinze, Janna Issabaeva balance un uppercut à la face des indifférents ou des lâches.
En prenant connaissance du fait qu’au Kazakhstan, les enfants de l’Assistance publique ont accès au dossier des parents qui les ont abandonnés à la naissance, la réalisatrice de Naguima, a constaté que la grande majorité d’entre eux, au sortir de l’orphelinat, est tentée de faire leur connaissance.
C’est l’idée de départ de ce petit film qui met en relation deux jeunes femmes liées par leur état d’enfants abandonnés.
L’une, Ania, est d’origine russe, l’autre, Naguima, est kazakh - le film est en russe, langue commune aux deux personnages.
Naguima est présentée tout au long comme une sorte de Gelsomina fellinienne et sa voisine, Nina la prostituée, par son côté pathétique et grotesque, pourrait très bien sortir des Nuits de Cabiria.
Entre sainte et sorcière, Naguima est un personnage pré-apocalyptique dans ce pays à vau-l’eau, où la solitude et le manque d’amour pèsent sur les épaules des habitants, démunis et perdus dans un paysage lunaire, seulement traversé par les veines des gazoducs qui les relient à l’indifférente ex-mère patrie russe.
Le spectateur se sentira pris dans ce piège qui se referme sur la fragile et naïve héroïne. Avec son visage à l’ovale parfait, sa gestuelle hésitante et son quasi-mutisme, elle confère au film une tonalité à la fois désespérée et tendre.
Lorsque son amie, sa sœur en orphelinat, meurt en couches, Naguima décide de rencontrer sa propre mère.
Son long voyage, aller et retour, en dit long sur son propre désespoir, mais nous montre surtout l’abandon d’un pays envahi par la poussière et la ruine.
Ce film indépendant, réalisé en douze jours avec une équipe réduite, coproduit par la réalisatrice (qui, par ailleurs, travaille pour la télévision) possède des moments de grâce et nous conduit peu à peu vers l’ultra-moderne solitude et la folie engendrée par le désespoir.
Un désespoir qui ne naît pas seulement des conditions sociales, mais de l’absence d’amour, de la mère pour sa fille et de la fille pour son enfant.
La seule qui semble proche de Naguima est Nina, la prostituée au grand cœur, personnage classique du mélo alors que le film ne joue justement pas sur le pathos - sauf lorsque Naguima, du fond de son chagrin, demande à l’épicier de lui dire qu’il l’aime et de la prendre dans ses bras.
Cette courte séquence s’achève dans un splendide mouvement de caméra qui tourne en plongée autour de Naguima, perdue comme une enfant dans un monde à la renverse.
Univers et vision de l’enfance qui ne sont pas rares dans les cinémas d’Asie centrale, mais portés ici à un sommet.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe (mercredi 26 novembre 2014)
Naguima. Réal, sc, pr : Janna Issabaeva ; ph : Sayat Zhangazinov ; mont : Azamat Altybasov. Int : Dina Tukubaeva, Galina Pianova, Maria Nejentseva (Kazakhstan, 2014, 77 mn).