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Only Lovers Left Alive (2013)
de Jim Jarmush
publié le mercredi 29 avril 2020

par Maja Brick
Jeune Cinéma n°358, mars 2014

Sélection officielle du Festival de Cannes 2013
Sortie le mercredi 19 février 2014


 


Le nouveau film de Jim Jarmusch raconte l’histoire de derniers amants encore en vie, vampires dans un monde de zombies.
C’est l’histoire la plus ancienne du monde, celle d’Adam et Eve (Tom Hiddleston et Tilda Swinton). Ses héros vivent depuis des siècles et cherchent toujours du sang, un peu languissants à cause de leur longue relation et déprimés par la modernité qui n’a rien à voir avec leur culture ancienne. Eux, ils se souviennent de tant de choses, ayant cultivé pendant si longtemps leur goût raffiné pour la musique et la littérature.


 

Jim Jarmusch donne une vision panoramique du passé jalonné de poésie et de savoir qui appartiennent toujours aux élites, si souvent méprisées. Si un artiste de l’underground vit à la marge et développe ses inventions dans la clandestinité, comme le protagoniste du film, reclus dans son manoir et poursuivi par ses fans, il en fut de même pour de grandes figures de l’art et des sciences d’autrefois, Copernic, Newton, Darwin, ridiculisés par leurs contemporains.


 


 

Le couple au teint blafard survit autant grâce au sang frais qu’aux livres et à la musique. Dans leur frigo, au lieu de la nourriture, se trouvent des volumes empoussiérés et leurs conversations s’alimentent de termes latins. Ils sont éternellement jeunes, curieux de tout, attirés surtout par les paysages nocturnes, endroits déserts, terrains en friche, usines désaffectées. Leur fascination grandit devant tout ce qui se cache dans l’ombre. Ils se déplacent en voiture, la nuit, à travers une ville fantôme. Detroit et Tanger servent de décor pour leur vagabondage nocturne.


 

Une scène privilégiée de ces artistes excentriques est offerte par le Théâtre du Michigan, autrefois splendide, aujourd’hui cinéma abandonné et transformé en parking. Les anciennes poésies, anglaise, arabe et hébraïque, sont autant leurs références que les mouvements musicaux des années 50 et 60, passé récent, pourtant oublié.
Leur amour, aussi vieux soit-il, trouve une métaphore originale dans le concept moderne de la non-séparabilité, confirmé par l’expérience d’Aspect, théorie d’intrication quantique selon laquelle des particules liées à l’origine se souviennent de leur unité primaire et adoptent la même trajectoire, même si elles se trouvent à une distance considérable. Tels sont les amants de Jarmusch, tel est l’amour qui perdure des siècles avec ses chantres, artistes de tout temps.


 

Bien évidemment, tout poète est vampire, plagiaire, comme Shakespeare qui, selon certaines hypothèses, s’est approprié l’œuvre du génial dramaturge élisabéthain, Christopher Marlowe (John Hurt), né, lui aussi, en 1564. Autour de ce grand scandale de l’histoire de la littérature se construit l’anecdote du film et son personnage, le vieux poète anglais mourant, vampire bien sûr.
Après sa mort, ses admirateurs, Adam et Eve, restent esseulés, sans idoles. Ils n’ont plus de héros, ne savent plus que faire. Hormis des portraits illustres du passé - Baudelaire, Poe, Kafka, Bach et quelques guitaristes légendaires -, il y a de nos jours peu d’étoiles naissantes. Si un talent brille quelque part dans une boîte de nuit à Tanger, une jeune chanteuse libanaise, elle est trop douée pour devenir célèbre. Pourvu qu’elle reste inconnue, éclipsée aux yeux des consommateurs diurnes de la culture de masses.


 

Jim Jarmusch porte un regard nostalgique sur le passé lointain et sur celui de la dernière période créative, surtout musicale, de sa jeunesse, que symbolisent des disques vinyles et une collection de guitares-cultes. Il est charmé autant par Schubert que par Charlie Fathers. Son goût artistique est toujours à la recherche d’une création originale, comme celle de Jack White, né en 1975 à Detroit, musicien guitariste et chanteur.
Sa curiosité explore le sublime de tous les temps : entre Lorenzo Ghiberti, sculpteur florentin du Quattrocento et le mouvement musical du garage rock, il n’y a aucune frontière notable pour un artiste en quête d’inspiration. Ce vampire, toujours marginal, doit inventer des moyens de se procurer du sang frais, si rare aujourd’hui parmi le sang contaminé de l’industrie culturelle.


 

Contestataire, excentré ? Certes, mais il trouve toujours des expédients pour survivre, composer de la musique, faire des films, construire une dynamo qui capte l’énergie céleste, la lumière de la Lune, un diamant musical dans le ciel qui, au cinéma peut être le simple néon d’un troquet ouvert la nuit. Son studio, bric-à-brac avec son enchevêtrement de câbles et d’instruments anciens, ne ressemble guère aux grands studios de Hollywood. Le vampire ne dédaigne pourtant ni le téléphone portable ni l’avion. Inadaptable, il sait s’adapter pourtant aux technologies modernes et trouver ses trajets, son public, ses fournisseurs d’objets curieux.
Jim Jarmusch, de même que ses personnages, préserve son dandysme séduisant malgré son désabusement. Cette fois-ci, il raconte une histoire d’amour qui ne s’épuise pas tant que les amants ont envie de danser, d’écouter de la musique, d’admirer des paysages insolites. Les plus belles images et sensations restent dans l’ombre que la salle de cinéma offre toujours en dépit des pressions commerciales hostiles aux vampires.

Maja Brick
Jeune Cinéma n°358, mars 2014


Only Lovers Left Alive. Réal, sc : Jim Jarmush ; ph : Yorick Le Saux ; mont : Alfonso Gonçalves ; mu : Jozef van Wissem. Int : Tom Hiddleston, Tolda Swinton, Mia Wasikowska, John Hurt, Anton Yelchin (Grande-Bretagne-Danemark-France-USA-Chypre, 2013, 123 mn).



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