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Parce que j’étais peintre (2013)
de Christophe Cognet
publié le mardi 5 mai 2020

par Gisèle Breteau Skira

Jeune Cinéma n°358, mars 2014

Sortie le mercredi 5 mars 2014


 


Depuis dix ans, Christophe Cognet s’est donné pour tâche de mettre en lumière les œuvres exécutées dans les camps de concentration par les artistes déportés.

Il a d’abord réalisé en 2004 un documentaire Dans l’atelier de Boris, avec la participation à l’image de Boris Taslitzky, précieux témoignage du peintre communiste, fils de réfugiés juifs russes, rescapé de Buchenwald et aujourd’hui disparu. (1)
En 2006, il tourne un deuxième documentaire, Quand nos yeux sont fermés, montrant les dessins clandestins du camp de Buchenwald. (2)


 

Il présente aujourd’hui un troisième long métrage donnant la parole aux artistes déportés, rescapés, ainsi qu’aux conservateurs chargés de répertorier les œuvres des différents fonds en Europe et en Israël.
Le film montre l’incroyable richesse de ces dessins effectués dans le secret. On apprend au passage les ruses inventées pour se procurer le papier, le crayon et les stratagèmes pour cacher le dessin.

Ces œuvres sont de véritables outils d’analyse et de documentation sur ce qu’était la vie à l’intérieur des camps. Mais aussi - et c’est l’objet principal du film -, ils permettent de poser la question de la "beauté" dans les camps de la mort, ainsi que l’écrivit le peintre Zoran Music, déporté à Dachau, dont la célèbre déclaration ouvre le film : "Je n’ose pas le dire. Je ne devrais pas le dire, mais pour un peintre, c’était d’une beauté incroyable."


 

Cette phrase souligne un enjeu propre à Music, troublant, gênant, embarrassant. Si l’on songe au peintre, survivant aux souffrances quotidiennes, privé de toute possibilité de travailler et cependant "voyant" de l’horreur autour de lui, sans en pouvoir transcender la réalité visible, on peut alors comprendre une telle idée. Comprendre que ce peintre et d’autres avec lui aient tout fait pour obtenir de quoi dessiner, pour retranscrire la véracité de l’émotion, même dans l’intenable "beauté", puis tout imaginer pour dissimuler leur travail. Sorte d’action ultime de survie, façon de dépasser la peur de mourir en se laissant à nouveau immerger dans le travail de peintre.


 

La découverte des dessins juxtaposés avec le lieu dévasté, les ruines encore présentes, les vastes espaces devant lesquels l’imagination se déploie et autorise ce cheminement de pensée vers une possible conception d’une beauté à ces lieux de morts, leur donne aussi une autre fonction. Quelle aurait été la portée de ce geste artistique sans l’espoir d’en fixer une preuve de vie, envers et contre tout ?


 

Ce film diffère des deux précédents par la volonté affirmée de faire œuvre cinématographique, d’abord en ménageant le silence lors du filmage des dessins, un silence qui laisse le spectateur découvrir et décrypter les figures, la ligne des corps, les masses formelles, la composition des esquisses, le sujet traité.
Volonté encore de filmer les lieux de façon à les voir comme s’ils étaient éternellement présents, fantômes d’un passé inoubliable et indestructible. Lieux d’une mémoire à jamais inscrite dans l’histoire de l’Humanité.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°358, mars 2014

1. Boris Taslitzky (1911-2005).

2. Les deux premiers documentaires de Christophe Cogne ont été réalisés avec Stéphane Jourdain : La Voix des génies (1994) et Gongonbill, de l’autre côté de la colline (1997). Depuis 1998, il réalise seul ses films, des essais qui interrogent les mécanismes de la création, notamment : La Mer en colimaçon (1998), une analyse de E la nave va de Federico Fellini ou L’Affaire Dominici par Orson Welles (2000),
Mais dès 1993, il a effectué des recherches sur les artistes peintres déportés dans les camps nazis. Parce que j’étais peintre. L’art rescapé des camps nazis, est son 11e film.


Parce que j’étais peintre. L’art rescapé des camps nazis. Réal : Christophe Cognet ; ph : Nara Kéo Kosal ; mont : Catherine Zins. Avec Yehuda Bacon, José Fosty, Walter Spitzer, Samuel Willenberg, Kristina Zaorska (France-Danemark, 2013, 104 mn). Documentaire.



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