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Mr Turner (2014)
de Mike Leigh
publié le mardi 2 décembre 2014

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle du Festival de Cannes 2014
Prix d’interprétation masculine pour Timothy Spall

Sortie mercredi 3 décembre 2014

Lever de soleil sur la campagne anglaise, deux dames longent un ruisseau en parlant et riant.
Sur l’autre rive - elles ne l’ont pas vu -, un homme est debout face au paysage, il dessine. C’est le peintre Turner (1775-1851).

La problématique du film, et de tous les films ayant trait à la vie des peintres (La Jeune Fille à la perle, Rembrandt fecit, Goya en Burdeos…) est posée : vie à l’écart du monde, famille souvent négligée, travail incessant.

Mike Leigh en campant son personnage s’attache à dépeindre les figures de la société bourgeoise de l’époque victorienne, la richesse des costumes, des étoffes, des coiffes, des capes et des chapeaux ; le mode de vie, les bruits de la ville, les boutiques aux offres exceptionnelles, les décors extérieurs d’une richesse inouïe.

Il n’oublie pas d’évoquer les épidémies et maladies incurables, dues à l’insalubrité des habitations, au manque de soin, à la pauvreté. Ni l’invention de la photographie qui fait soupirer de bonheur le peintre, quand il apprend que le daguerréotype n’est pas encore en couleurs !

Turner, au moment du film, est au tournant de sa vie, ces années 1840-42, où il découvre et invente une nouvelle vision du paysage, dans l’abstraction du sfumato et l’évanescence des couleurs. Aux images d’intérieurs, Mike Leigh juxtapose les plans de brumes et vapeur sur le paysage dont la présence peu à peu se mêle à la vie du peintre.

Malgré son immense talent, Turner est un être exécrable, responsable de l’abandon de sa femme et de ses enfants et de la mort tragique d’une de ses filles.

"Il était aussi silencieux qu’une crête de granit" dit de lui l’historien John Ruskin.

Quelques scènes le dépeignent éludant les questions par des interjections grogneuses. Il occupe son temps à travailler, se déplace sans cesse, besace au dos, toujours pressé, d’un atelier à l’autre, celui de Londres où Damoiselle s’occupe de lui depuis quarante ans, celui de Margate où Sophia Booth le séduit et le protège jusqu’à sa mort.
Entre ces deux lieux, il fait de rapides visites à la Royal Academy de Londres, où il rencontre les peintres et John Constable (1776-1837) son rival - la scène, inventée par Mike Leigh, est savoureuse, spirituelle, et commune à tous les artistes. À noter à ce propos, la finesse des dialogues.

Un biopic réussi ?
Non, pas tout à fait, un récit assez linéaire où manque la cassure, celle qui procure à la vie de peintre un sursaut, un questionnement.
Turner était-il intéressant en tant qu’homme ? Le personnage qui l’incarne Timothy Spall est-il attachant ?
Entre grossièreté et finesse, sa physionomie est très égale, sans aspérités particulières.
Manque aussi la pratique de la peinture si controversée au cinéma, du coup on a cette étrange impression que le film manque de tableaux !

Peut-être s’agit-il d’autre chose, peut-être est-ce la vie, la vie d’un homme en proie à ses ultimes démons, la culpabilité, l’indifférence, le remord et le chagrin.

Demeure une scène magistrale, folie du peintre poussé vers son art ou rêve du cinéaste de le voir souffrir ?

En pleine mer, arrimé au mât d’un vaisseau, Turner reçoit en pleine face vents et embruns, pluies de glace et de neige, accueillant et recueillant l’émotion physique et mentale face aux éléments déchaînés.

Très belle scène, métaphore de l’entrée du peintre vers d’autres formes picturales par la perception de l’atmosphère, mais également possible clin d’œil de Mike Leigh aux Révoltés du Bounty (1935) interprété par le célèbre acteur britannique Charles Laughton qui aurait, après Rembrandt, fait un magnifique Turner !

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe (3 décembre 2014)

Mr. Turner. Réal, sc : Mike Leigh ; ph : Dick Pope ; mu : Gary Yershon ; mont : Jon Gregory. Int : Timothy Spall, Dorothy Atkinson, Marion Bailey, Ruth Sheen, Lesley Manville, Karl Johnson, Paul Jesson (Grande-Bretagne, 2014, 150 mn).

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