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Pas son genre (2014)
de Lucas Belvaux
publié le mardi 26 mai 2020

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°359, mai 2014

Sortie le mercredi 30 avril 2014


 


Adapté du roman éponyme de Philippe Vilain, le film de Lucas Belvaux relate l’histoire d’amour entre un professeur de philosophie parisien, affecté à Arras, et une jeune et jolie coiffeuse de la ville.


 

Dès les premiers plans, il présente Clément (Loïc Corbery) comme affectivement instable : il quitte une femme, essuie les reproches d’une autre ; le voici donc à Arras, seul où il s’ennuie. Un jour, chez un coiffeur, il rencontre Jennifer (Émilie Dequenne) dont il tombe éperdument amoureux. Elle, généreuse et naïve, croit à cet amour, sa vie se transforme, s’éclaire, elle apprend à lire Kant et Dostoïevski, mais lui n’abandonne pas pour autant la philosophie pour les magazines people.


 


 

Le réalisateur suit la montée du sentiment amoureux, des premiers gestes à l’épanouissement de la passion. Le fait amoureux n’a en lui-même rien de particulier, encore qu’il soit filmé avec pudeur par une caméra légère, discrète et sélective. Ce qui importe ici, c’est la personnalité des protagonistes, et, plus encore, leur psychologie. Il s’attache à leur psyché, il scrute les comportements, encercle le couple, réduit l’espace vital, tandis qu’il prend peu à peu ses distances avec l’histoire, laissant agir Jennifer et Loïc comme s’ils étaient seuls au monde.


 

Au milieu de cet amour, deux univers, deux classes sociales, deux cultures s’affrontent et vont se désunir. Un climat étrange survole la relation, le doute plane, règne une sensation de malaise autour des personnages et de leurs agissements - notamment Clément, indiscernable, qui semble avoir envie de s’engager comme de fuir au plus vite. L’indécision du sentiment amoureux et ses conséquences procurent un goût amer. La vie quotidienne s’étire, l’amour se cherche, s’éprouve dans la vacuité des perspectives et le désamour.

Lucas Belvaux pointe cet état latent, qui n’est ni du désarroi, ni du trouble, sinon une certitude de s’être fourvoyé. Car, à l’instar de La Maman et la Putain de Jean Eustache, "on ne rencontre que des gens de sa classe". Il démontre l’impossibilité d’aimer dans la différence sociale.


 

Et c’est le dernier quart d’heure radieux d’une soirée karaoké où Jennifer, chevelure platine, telle la phalène aveuglée par la lampe, chante. Elle est splendide, dans ce plan d’une intense blancheur, d’autant plus éclatante que le lendemain terne, sombre dans le silence.


 

Mystère d’une rupture sans mots, Jennifer a quitté le film, elle a disparu. Belvaux créé ici, comme dans la plupart de ses films, un espace secret dans lequel s’engouffre autre chose que l’histoire évoquée, ici très banale, un au-delà de l’image, une suspension de l’émotion, un lieu méconnu et sourd, où soudain s’exprime la vie.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°359, mai 2014


Pas son genre. Réal : Lucas Belvaux ; sc : L.B. d’après le roman de Philippe Vilain ; ph : Pierric Gantelmi d’Ille ; mu : Frédéric Vercheval ; mont : Ludo Troch. Int : Émilie Dequenne, Loïc Corbery (France, 2014, 111 mn).



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