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Delambre, Raymond (livre)
Le Cinéma sur les cimaises (2013)
publié le dimanche 7 juin 2020

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 358, mars 2014

Raymond Delambre, Le Cinéma sur les cimaises, Paris, Éditions Cerf-Corlet, 2013.


 


Le cinéma sur les cimaises est vaste sujet, de nombreuses fois débattu, aussi bien dans la presse écrite que dans les ouvrages publiés. Raymond Delambre, parmi ses multiples statuts et qualités de conservateur en chef, d’enseignant en sciences de l’information et civilisation chinoise, est programmateur et conférencier sur le cinéma d’où son envie de s’aventurer à dresser un état des lieux sur l’idée d’une possible exposition du cinéma.

Il choisit pour cela de décliner les différentes options sur la question en neuf chapitres, intercalant le concept même du cinéma exposé et la rencontre avec les divers lieux d’expérimentations.
Se succèdent ainsi réflexions et argumentations sur le thème - souvent au travers d’interviews - nourri de très nombreuses notices bibliographiques et l’inventaire analytique des différentes institutions pionnières dans l’essai de "muséifier" le cinéma.

Après une introduction de N.T. Binh sur la distinction entre exposer le cinéma et exposer le non-film, objets, photos et décors, s’enchaîne une séquence sur les tournages dans Paris et ses musées, puis sont cités et étudiés les musées du cinéma créés à Paris, Lyon, Turin, Lodz, Francfort ou St-Nicolas-de-Port, ainsi que les expositions emblématiques comme Monuments stars du 7e art à la Conciergerie, Godard et Le Mouvement des images au Centre Georges Pompidou, Kitano chez Cartier, Traces d’Amos Gitaï au Palais de Tokyo.
Soulignons toutefois l’absence des expositions pourtant significatives et réussies dans le domaine de l’exposition du cinéma, de la Cinémathèque française : Renoir / Renoir, Sacha Guitry, Almodovar. Ou encore celle très réussie de la Fondation Cartier consacrée à l’œuvre peinte et filmée de David Lynch.

Trois chapitres sont consacrés aux salles de cinéma parisiennes : le Grand Palais, La Pagode, Le Louxor, bâtiment nouvellement restauré qui s’ouvre avec une programmation oscillant entre l’art et l’essai et le cinéma grand public. Présentation des lieux et entretiens avec les programmateurs Marie Durand et Michel Gomez : la première évoque l’histoire du lieu, énumère les différents propriétaires, citant au passage quelques fameuses programmations, le deuxième relate les difficultés de la restauration d’un endroit si atypique aux décors égyptisants.

Suivent les trois derniers chapitres, assez conséquents, entremêlant citations et réflexions, guidés par deux artistes Su-Mei Tse, Lion d’or à la Biennale de Venise 2003, artiste-vidéaste-violoncelliste, et Tsai Ming-liang, cinéaste auteur du film Visage, tourné au musée du Louvre.
À l’aide de ces exemples, le discours se complexifie, il y est question de "l’idéologie de l’écart", de la notion de l’artisticité, pour évoquer la potentialité de l’art dans l’objet cinéma, et expliquer le dessein de Su-Mei Tse de rendre interactive une salle d’exposition, "devant la passivité de la salle de cinéma".
C’est à partir de ces chapitres, que la lecture devient intéressante, sans doute parce que l’auteur s’attache à la personnalité et l’œuvre de deux artistes, et que le film du deuxième, Visage, excite lintérêt. L’entretien avec Catherine Derosier-Pouchoux est assez vivant, et démontre la réelle importance du propos de la "contamination" du cinéma par la peinture sans s’attarder ni argumenter cependant sur le véritable sujet du livre.

Malgré ses qualités d’investigation, cet ouvrage n’est pas satisfaisant sur le plan de l’exposé même du concept d’exposition du cinéma. Raymond Delambre, emporté par toutes les questions avoisinantes, se laisse surprendre par les récits des personnalités rencontrées, sans en tirer de possibles réflexions sur la question. L’ouvrage s’apparente davantage à une thèse universitaire, richement documentée et annotée de citations et renvois rendant parfois la lecture fastidieuse, brossant un panorama des institutions agissant en faveur de la production des films, de la distribution et de la monstration du cinéma à l’intérieur des musées et des salles nouvellement ouvertes, plutôt qu’à un essai réflexif sur "le cinéma exposé" à l’instar des écrits de Dominique Païni (1) ou de Jacques Aumont (2). Alors que la Cinémathèque s’apprête à saluer Henri Langlois, fondateur en 1975 du musée du Cinéma qui, dans un geste visionnaire, confrontait les œuvres de Léger, Feininger, Delvaux, Renoir aux images cinématographiques, en initiateur de la juxtaposition de l’image animée à l’image fixe, et posait déjà, sans peut-être le savoir, la notion d’artiste-cinéaste.
Car aujourd’hui et par extension la question posée est de pouvoir donner le statut d’artiste aux cinéastes. En exposant le cinéma, c’est-à-dire l’œuvre filmique et comme le dit Michel Guerrin (3), non pas les reliques, et autres objets, prêtant à confusion face à l’œuvre des peintres, le cinéaste acquiert ce statut par ses activités et ses œuvres à la périphérie du film.
Cette posture nouvelle trouve sans doute son origine dans l’évolution de l’art, et son glissement vers l’image animée, notamment par le passage aux installations et vidéos installations. Il aurait été intéressant, dans un ouvrage intitulé Le Cinéma sur les cimaises, c’est-à-dire littéralement le cinéma devenu tableau accroché, de concentrer l’attention sur les musées du cinéma et les musées d’art qui exposent aujourd’hui le cinéma, d’en rencontrer les acteurs, et d’en tirer une analyse circonstanciée. L’ouvrage de Raymond Delambre a au moins le mérite de réactualiser le sujet.

Gisèle Breteau-Skira
Jeune Cinéma n° 358, mars 2014

1. Dominique Païni, Le Cinéma, un art plastique, Yellow Now, 2013.

2. Jacques Aumont, De l’esthétique au présent, De Boeck Université, 1998.

3. Michel Guerrin, "L’Extension du domaine de l’art", Le Monde, 30 novembre 2013.


Raymond Delambre, Le Cinéma sur les cimaises, Paris, Éditions Cerf-Corlet, 2013, 286 p.



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