par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 399-400, février 2020
Sortie le lundi 22 juin 2020
Ce film, réalisé à deux mains par Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich, aurait bien pu s’appeler La Frontière, car il raconte le passage quotidien de trois femmes françaises qui se prostituent en Belgique, où les bordels sont autorisés. Mais le distributeur leur a suggéré Filles de joie et ce titre convient mieux, qui joue à la fois sur les mots et sur la situation.
Ces femmes-là, malgré tout, peuvent éprouver de la joie et rire entre elles de leur vie, de leurs malheurs. Pour cela, il leur a fallu pénétrer au cœur même d’une maison close - il se trouve que Anne Paulicevich connaissait le neveu du fameux Dodo la Saumure. En un mois et avec un petit budget, les cinéastes sont arrivés à recréer l’intérieur de cette maison de passe, plus vraie que nature, aux dires même de la tenancière.
C’est un film vraiment réaliste dans lequel les deux auteurs veulent rendre compte du malheur des femmes, de cette souffrance qu’on leur fait endurer, de manières diverses, partout sur la planète. La prostitution est sans doute la misère la plus grande, regroupant à la fois la souffrance, l’humiliation et le mépris de son corps. "La question que pose le film est encore plus gigantesque : que se passe-t-il dans une société pour qu’on en arrive là ? Comment se fait-il que quelqu’un décide d’aller vendre son corps pour s’en sortir ? C’est un choix, peut-être, mais dans un non-choix. La seule issue dans une impasse qui serait, sinon, totale. Mais c’est quoi ce monde-là où des femmes, pour récupérer un peu de dignité, doivent se résoudre à l’indigne ?"
Ce n’est pas seulement un film sur la prostitution, c’est surtout un film politique, qui tente de comprendre pourquoi certains hommes méprisent autant les femmes. C’est aussi un film très triste, voire pathétique, qui dépeint un univers à la Zola, où les femmes doivent se battre pied à pied pour conserver leur dignité. Regrettons que la fin du film penche du côté du sensationnalisme contemporain et de la mise en question de l’homme, coupable systématique.
Mais le film est particulièrement bien interprété par les trois actrices qui incarnent à la perfection les prostituées - elles connaissaient bien le milieu pour y avoir fait parfois de courts séjours avec les réalisateurs, pendant la préparation du film.
Sara Forestier, Annabelle Lengronne et Noémie Lvovsky (mention spéciale) sont absolument remarquables dans ces rôles de composition, aussi aboutis que ceux créés par Bertrand Bonello dans L’Apollonide, souvenirs de la maison close en 2011.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 399-400, février 2020
Filles de joie. Réal : Frédéric Fonteyne & Anne Paulicevich ; sc : Anne Paulicevich ; ph : Juliette Van Dormaël ; mont : Chantal Hymans ; mu : Vincent Cahay. Int : Sara Forestier, Noémie Lvovsky, Annabelle Lengronne (France-Belgique, 2019, 91 mn).