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Gauteur, Claude (livre)
François Truffaut en toutes lettres (2014)
publié le vendredi 24 juin 2016

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

Claude Gauteur, François Truffaut en toutes lettres, La Tour verte, 2014.


 


Il semble que tout ait été dit sur François Truffaut, de façon surabondante et parfois fausse - ainsi que le souligne Claude Gauteur en page 25, épinglant la manipulation effectuée en 1996 par les deux biographes, Serge Toubiana et Antoine de Baecque, sur une de ses lettres adressées à l’auteur de Jules et Jim. (1)

Oui, tout a été dit, en long et en large, mais tout ce qui constituait une des grandes activités du cinéaste, la correspondance, n’a pas été entièrement dévoilé, depuis l’édition de 1985, due à Gilles Jacob & Claude de Givray, (2) qui en rassemblait l’essentiel.
La preuve : la trentaine de lettres reçues par Claude Gauteur entre 1958 et 1984, encore inédites et qui font l’objet du petit livre publié par La Tour verte (éditeur de bonne compagnie dont le catalogue propose de précieux ouvrages sur des personnalités aussi peu abordées que Corinne Luchaire, Jean Epstein, Simone Simon et Albert Capellani - c’est dire le sérieux et l’intérêt de la chose pour les connaisseurs).

Certes, Claude Gauteur prévient : ces lettres sont d’ordre strictement personnel et on comprend qu’elles n’apporteront pas de révélations capables de chambouler la connaissance d’une trajectoire très bien répertoriée, entre Les Quatre Cents Coups et Vivement dimanche !, Truffaut restera Truffaut.

Mais on sait que même les notes de blanchisserie ont leur rôle dans une histoire - et s’il ne s’agit pas ici de considérations théoriques ou esthétiques de haute volée - on en a lu suffisamment ailleurs -, ces quelques missives éparses, parfois séparées de plusieurs années, possèdent un charme certain. Simplement, parce que, derrière le vouvoiement entretenu vingt-cinq ans durant, perce une amitié véritable qui n’a pas besoin d’épistoles de quatre pages pour se faire jour. Nous sommes dans la pratique quotidienne, celle du cinéaste d’un côté, du critique-éditeur de l’autre, réunis, par exemple, par une même passion pour Renoir. Truffaut s’entretient avec le maître, Gauteur le bénédictin creuse, épluche, retrouve des textes oubliés et les publie, nourris de commentaires définitifs.

Pour qui s’intéresse aux premières manifestations de la Nouvelle Vague, les premières lettres sont pleines d’enseignements. On apprend - sans doute l’avait-on su mais on l’avait oublié - qu’en 1960, Éric Rohmer devait tourner Une femme douce, (3), Marcel Ophuls, Les Platanes (?) et François Truffaut, Un été en Brière (avec Anita Ekberg !), et que Jean-Pierre Léaud, grâce "aux libéralités de sa marraine de guerre", allait pouvoir interpréter Boulevard de Julien Duvivier de façon brechtienne ("il ne sera pas un puceau, il jouera un puceau"). On apprend aussi que la signature du Manifeste des 121 - François Truffaut fut un des rares du groupe des Cahiers du cinéma à le signer - avait représenté pour lui une décision importante à prendre, et il remercie Claude Gauteur d’avoir joué un rôle dans ce choix.

Il convient de ne pas déflorer tout ce qui parcourt ces quelques pages d’une correspondance à une voix - les réponses du destinataire manquent, mais Claude Gauteur accompagne chaque lettre d’une remise dans son contexte d’époque, rétablissant une manière de dialogue.
On mettra de côté un paragraphe de la première lettre de FT à CG (septembre 1958), lorsqu’il lui propose de le remplacer pour sa chronique cinématographique d’Arts : "Soyez concis, partial, brillant et humoristique. Ne soyez ni mou, ni confus, ni littéraire, ni filandreux, ni perplexe, ni trop objectif. Évitez les allusions compréhensibles des seuls cinéphiles ; soyez un boxeur ; bref, tâchez de bien vendre votre salade."
Comment mieux dire ?

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°361-362 automne 2014

1. Serge Toubiana & Antoine de Baecque, François Truffaut, Paris, Gallimard, 1996.

2. Gilles Jacob & Claude de Givray, François Truffaut. ‎Correspondance 1945-1984, avant-propos de Jean-Luc Godard, Milan, Editions 5 continents, 1988.‎

3. D’après la nouvelle de Dostoïevski, La Douce (1876). Le film ne s’est jamais fait, c’est Robert Bresson qui a réalisé Une femme douce en 1969.


Claude Gauteur, François Truffaut en toutes lettres, Mesnils-sur-Iton, La Tour verte, 2014, 70 p.



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