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Un couple parfait (1979)
de Robert Altman
publié le vendredi 29 juin 2018

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°124, février 1980

Sortie le mercredi 2 janvier 1980


 


Robert Altman nous avait habitués, depuis Thieves Like Us, (1) à des variations sur des combinaisons numériques multiples, alternant trois, cinq, vingt-quatre ou quarante-neuf personnages, simplicité apparente et sophistication narrative.
Il a, cette fois-ci, délaissé les polyphonies superbes pour une mélodie plus calme, dans un registre plus serein, que le premier titre prévu - et abandonné pour des raisons de droits commerciaux - définissait parfaitement : A Romance. C’est en effet une romance, dans son sens originel de "chanson sentimentale" qui nous est ici contée, l’histoire toute simple d’une rencontre amoureuse, l’aventure de deux personnages que rien n’amenait à se rencontrer, qu’un certain nombre de conditions objectives vont bloquer pendant une heure quarante et que la dernière séquence verra se réunir.


 

Pas besoin d’être historien de cinéma pour retrouver là, toute crue, une structure de scénario qui a largement fait ses preuves, celle de la comédie américaine des années quarante. Rien d’étonnant à cela, l‘essentiel de l’activité altmanienne ayant jusqu’à présent consisté en un travail sur la tradition : après avoir revisité le western, le policier et le film musical, il était dans l’ordre des choses qu’il s’attaquât à son heure à un thème aussi spécifiquement américain que celui du boy meets girl.


 

Un club de rencontres pour cœurs solitaires a découvert chez Alex et Sheila des profils complémentaires. Une chose semble surtout devoir les rapprocher : leur totale dépendance vis-à-vis de leur environnement immédiat et leur besoin maladroit d’y échapper. Lui, est affligé d’une famille grecque ultra conservatrice dans laquelle sa quarantaine bien sonnée ne l’empêche pas d’être traité comme un galopin. Elle, chante dans un groupe pop qui, malgré ses apparences plus "libérées" - habitat communautaire, sexualité marginale - la tyrannise tout autant : chaque manquement au travail d’équipe y est tarifé. Le rapprochement de leurs deux solitudes ne s’accomplira qu’avec difficulté, à travers un itinéraire musical.


 


 

Comme dans Nashville, (2) en effet, la musique y est l’expression d’un groupe social et d’une mentalité - classique pour l’un (bourgeoisie aisée "cultivée"), pop-rock pour l’autre (style Chicago ou Jefferson Airplane) - et elle joue dans l’action un rôle de ponctuation et de commentaire. Comme dans Welcome to L.A. de Alan Rudolph, (3) chaque épisode important du film trouve son écho dans les chansons. Le décalage entre les deux formes de culture s’amenuise peu à peu et le film s’ouvre et se ferme sur deux séquences homologues. Dans la première (rencontre d’Alex et Sheila) seul joue le Los Angeles Philharmonic Orchestra ; dans la seconde, l’ex-groupe de Sheila (Keepin’em off the streets) (4) joue sur la même scène que le Philharmonic. Chaque personnage a rejeté sa famille mais la jonction des deux styles musicaux indique qu’ils sont parvenus à mener à bout leur histoire d’amour "hautement improbable" (Altman dixit).


 

La qualité essentielle du film réside dans la tendresse avec laquelle Robert Altman dépeint ses deux paumés - acteurs admirables sortis de la meute de Un mariage (5) -, pas très beaux, pas très courageux, et leurs efforts pour se débarrasser de leurs systèmes d’oppression respectifs. Mais cette tendresse n’est pas un élément vraiment nouveau chez lui, et bien des personnages antérieurs, Bud Cort, Shelley Duvall ou Brigitte Fossey, en portaient la trace.
Ce qui est nouveau ici et qui surprend, c’est son caractère univoque et l’aspect aussi peu agressif du film. Jusqu’à présent, Robert Altman nous avait offert, à travers son dépoussiérage des genres, une radiographie inquiète de l’Amérique profonde. Même s’il se défend d’être un satiriste, le regard porté sur ses personnages était suffisamment acéré pour que la nécessaire chaleur ne fasse pas oublier la critique implicite. Or tout se passe ici comme si ses deux héros l’avaient tellement attendri, avec leur comportement de losers coincés, qu’il n’ait songé qu’à leur trouver les moyens de s’en sortir. D’où cette étonnante gentillesse, sans arrière-pensées ou presque, qui déçoit un peu les spectateurs pervers que nous sommes.


 

Résonnent bien sûr, de temps en temps, les quelques grincements qui permettent de savoir chez qui on se trouve : la description des familles, par exemple. Mais la limite n’est pas toujours bien nette entre la stylisation et la caricature, ce qui réduit un peu l’efficacité du propos. Problème du même genre avec ce couple que le générique baptise "couple imparfait", image satisfaite du bonheur pour magazines et qui traverse le film en se couvrant d’attentions et de caresses : après l’avoir fait fonctionner tout du long comme un clin d’œil du Destin, renvoyant après chaque malentendu Alex sur la trace de Sheila, Altman nous le montre en fin de course, désuni et grimaçant aux côtés du "couple parfait" enfin réuni. La mise en parallèle était intéressante : malheureusement sa mécanique est redondante sans jamais créer cette présence mystérieuse du motocycliste silencieux de Nashville. On y sent trop l’artifice scénaristique.


 

Robert Altman reconnaît d’ailleurs que " il a fallu trouver des astuces pour faire progresser l’histoire et sortir des impasses". On a l’impression qu’après avoir posé une situation initiale et défini un environnement social, psychologique et musical, il n’a pu faire avancer l’histoire qu’à coups de pouce un peu trop marqués. D’où la crédibilité parfois défaillante de certains événements : le rendez-vous manqué, amené d’une façon un peu épaisse ou les successives impossibilités d’union sexuelle d’Alex et Sheila. C’est cette insistance de quelqu’un habituellement plus allusif qui surprend. N’allons pas trop loin, Altman n’est pas devenu un sucreur de moutarde. Mais dans une comédie rose-amère, on aime que l’amertume soit suffisamment bien dosée, ce qui n’est pas toujours le cas.
Sans doute a-t-il conscience que Un couple parfait représente une pause dans son propos, puisqu’il déclare lui-même : "Ce n’est pas une date dans l’Histoire du cinéma, il faut se laisser aller à son plaisir". Plaisir réel, mais ténu, dans l’attente de son prochain Health, (6) qui s’annonce moins uniment optimiste et nous offrira sans doute des saveurs plus décapantes.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°124, février 1980

1. Nous sommes tous des voleurs (Thieves Like Us, 1974).

2. Nashville (1975) a reçu l’Oscar 1976 du meilleur film ainsi que celui de la meilleure musique pour la chanson originale de Keith Carradine.

3. Welcome to L.A. de Alan Rudolph,

4. Le groupe Keepin’em Off the Streets, fondé en 1976, était composé d’acteurs et de chanteurs qui avaient travaillé avec le chanteur canadien Allan Nicholls - co-scénariste du film - sur des comédies musicales de Broadway, telles que Hair (29 avril 1968) et Jesus Christ Superstar (12 octobre 1971). Ils avaient été séparés un temps. Robert Altman les a réunis à nouveau, en 1977, pour un concert dans la discothèque The Roxy à Los Angeles, en Californie, puis pour le film, A Perfect Couple. Le soundtrack, composé de 12 chansons, a eu beaucoup de succès.

5. Un mariage (A Wedding, 1978) est sorti en France le 22 novembre 1978 (et, en version restaurée, le 6 juillet 2016). Robert Altman y avait remarqué Paul Dooley et Marta Heflin. "Alec Theodopoulos" est le premier rôle principal de Paul Dooley.

6. La sortie en France de Un couple parfait est passée pratiquement inaperçue. Elle n’est même pas mentionnée par IMDB, non plus que celle de HealtH (1980), en France en 1982. Les deux films ont marqué, pour Robert Altman, le début d’une longue traversée du désert durant les années 1980.


Un couple parfait (A Perfect Couple). Réal : Robert Altman ; sc : Robert Altman & Allan F. Nichols ; ph : Edmond L. Koons ; mont : Tony Lombardo ; mu : Tom Pierson & Tony Berg. Int : Paul Dooley, Marta Hellin, Titos Vandis, Henry Gibson, Tony Berg (USA, 1979, 112 mn).



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