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Drôles de poissons-chats (les) (2013)
de Claudia Sainte Luce
publié le lundi 30 juillet 2018

par Jacques Pelinq
Jeune Cinéma n°359, mai 2014

Sélection officielle du Festival de Locarno 2013

Sortie le mercredi 28 mai 2014


 


La maman des poissons, elle va bientôt mourir ; ses petits l’aiment beaucoup et la soutiennent jour après jour, l’accompagnent entre l’hôpital et la maison, un solide bocal agité par le joyeux chaos du quotidien. Ici il n’y a plus d’homme, le dernier mari de Martha est parti en lui laissant le sida en cadeau.


 

Reste une fratrie un peu déglinguée, où la sœur aînée et Armando, le petit dernier, encadrent Wendy la boulimique (fille de la vraie mère dont l’histoire tragique a servi de base au scénario), difforme, qui supporte avec une vivacité rieuse le désespoir de l’agonie de la mère et celui de sa propre dégradation, et Mariana l’anorexique, obsédée par son apparence, qui cherche à adopter le bon look dicté par les starlettes de sitcom, Hanna Montana étant la référence culturelle des adolescentes de l’époque. Entre frictions fraternelles, signes d’amour et gaieté partagée, le tourbillon est incessant, ravivé par les apparitions épisodiques mais rayonnantes de la mère.


 


 

À l’hôpital, Martha a fait la connaissance de Claudia, jeune fille à la dérive, venant de nulle part et obligée, devant les autres, de s’inventer une famille, des racines, des attaches. Quelque chose de très fort passe entre elles et Claudia va devenir peu à peu un nouveau membre de la famille, sœur et mère à la fois, celle qui va porter et transmettre à son tour cette énergie vitale qui définit le personnage de Martha. À la mort de celle-ci, Claudia pourra s’éloigner de l’aquarium, pour mieux y revenir sans doute, ayant appris par l’expérience ce qui fait la valeur de la vie.


 


 

Avec ce premier film sur un sujet délicat, Claudia Sainte Luce affiche une belle maîtrise du récit et obtient de ses comédiennes la justesse de ton qui rend crédible ce ballet (superbement mis en lumière par Agnès Godard) entre la vie et la mort, thème fondamental de la culture mexicaine où la mort n’a rien de dramatique dès lors qu’on sait manier ces armes de la subversion que sont l’humour noir et la joie de vivre.

On pourrait s’en tenir là, se dire qu’on a là un beau film, l’histoire touchante d’enfants accablés par le destin au moment où ils auraient le plus besoin de leur mère pour se construire une vie. Mais un deuxième niveau de lecture nous entraîne sur une voie beaucoup plus sombre, celle de la décomposition sociale du Mexique d’aujourd’hui.


 

Car tout ce qui pourrait faire référence à une représentation traditionnelle du pays se trouve gommé, laissant place à un no man’s land où l’uniformisation est devenue la règle : on se nourrit de coca-cola et d’immondes saucisses industrielles, les mêmes que Claudia offre avec dégoût aux clients ravis de la morne supérette où elle travaille. L’éducation n’est plus une valeur : "À quoi bon aller à l’école ?" clament Mariana et Armando, les plus jeunes des enfants.


 

Le décervelage est à l’œuvre avec la télévision, le culte du corps, la fête de Noël devenue simple mascarade avec ces employés du super marché affublés d’un bonnet rouge. Même la mer de Puerto Vallarta n’a rien de ce paradis turquoise vendu aux touristes.


 

Dans ce paysage dévasté, seul subsiste un symbole authentique : la VW coccinnelle, où s’est entassée la classe moyenne mexicaine des années 70-80.
Mais à peine exhibé, cet emblème - déjà un lointain souvenir dans les années 2000 - est voué à l’anéantissement, puisque le voyage en voiture, après une dernière escapade à la mer, se termine aux portes de l’hôpital d’où Martha ne sortira plus.

Jacques Pelinq
Jeune Cinéma n°359, mai 2014


Les Drôles de poissons-chats (Los insólitos peces gatos). Réal, sc : Claudia Sainte Luce ; ph : Agnès Godard ; mu : Madame Récamier. Int : Lisa Owen, Ximena Ayala, Sonia Franc (Mexique, 2013, 95 mn).



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