Rencontre avec Agnès Varda (née en 1928)
à propos de Les Plages d’Agnès (2008)
Jeune Cinéma n°322-323, printemps 2009
Pour la Varda de 2014, cf. UniversCiné.
Au moment de prendre rendez-vous pour cet entretien, plusieurs semaines après la sortie du film, Agnès Varda n’avait plus envie d’en parler. Aussi, nous avions convenu d’aborder l’autre versant de son travail, les installations sur lesquelles elle travaille depuis ces dernières années. Et au moment de nous retrouver, la conversation partit sur l’accueil réservé aux Plages d’Agnès.
Agnès Varda : Les écrivains, les cinéphiles qui écrivent dans les journaux, c’est la formule que j’ai trouvée pour ne pas dire les critiques, ont été très inventifs pour ce film.
La presse est très belle, certes, elle est dithyrambique même. Elle est très raffinée. Ceux qui ont écrit sur ce film ont cherché des formules, ont cherché des mots. C’est très agréable à lire, ce qui n’est pas toujours le cas.
Je ne m’attendais pas à ce qu’on parle de moi dans Paris Match qui n’est pas un journal de référence pour moi. Or il y a eu un article de deux pages, très fin. Ils voulaient faire une photo de toute la famille souriante. On a dit : "Non, on a une photo on y est tous ensemble". On en avait une, sur fond bleu, tous sérieux. On les a amenés à accepter nos termes, on n’entrait pas dans le jeu du sourire.
Dans une autre page, j’ai trouvé cette formule formidable : "C’est un film inspiré, respirant". Dans la presse, il y a bien eu quelques réserves, mais pas imprimées. Le film est aimé. Cela m’a même presque fait un peu peur. Et je me suis dit : "C’est ton dernier film, tu es sur un petit nuage". J’ai pensé au Cinna de Corneille : "Et monté sur le faîte, il aspire à descendre".
J’ai été énormément touchée par ce qui a été écrit, dit à la télé.
Il n’y a pas eu de malentendu, il n’y a pas eu de glissement de sens, pas d’erreur sur ce que j’ai souhaité. Cela m’a plutôt rassurée.
Si on prend par exemple Les Cent et Une Nuits, un film sur une espèce de vieux fou (Michel Piccoli) qui racontait l’histoire du cinéma, tout à l’envers, tout en erreurs, tout en fautes de mémoire : j’en ai pris plein la gueule, alors que pour moi c’est une comédie sur les cent ans du cinéma. On m’a tapé sur les doigts parce que ce n’était pas sérieux, parce qu’il n’y avait pas d’extrait de film russe.
Il était peut-être loupé le film. Mais il y a surtout eu malentendu. On a cru que c’était une commande du ministère de la Culture.
Pour moi, c’était un film sur la mémoire, un sujet que j’adore. Piccoli était formidable dans sa folie, avec sa perruque style Ancien Régime. Ça me paraissait être une comédie sur comment on transmet la mémoire.
Je parlais à mon fils, Matthieu de ce bide, selon l’expression. Il me disait : "Tu te souviens du plaisir que tu as pris à le faire, comme tu t‘es amusée avec tous ces acteurs ?"
On en revient à la base de ce métier de cinéaste, on le fait comme on veut, dans mon cas avec amusement, quel que soit le sujet ou les difficultés. J’ai un plaisir extrême à faire du cinéma, à tourner, à monter. Je pense que c’est la clé.
Pour Les Plages d’Agnès aussi. Ça se voit, comme dans tous mes films.
Jeune Cinéma : Ce qui s’est passé là, c’est quand même un petit miracle qui tient au fait que vous soyez au centre même du film, et qu’on sent que vous y mettez tout ce qui vous compose et bien d’autres choses aussi. Tout ça crée un lien très direct, un lien privilégié avec le spectateur.
A.V. : Dans les salles, le film est souvent applaudi. C’est assez rare, ça m’impressionne. Les gens sont contents de rencontrer ceux qui m’ont accompagnée, ceux qui m’ont faite, ceux que j’ai aimés. Mais aussi ces fameux événements de la deuxième moitié du 20° siècle. J’y étais, au bon moment. On pourrait dire ça. Ou alors par hasard.
JC : Pas totalement par hasard.
A.V. : Oui et non. Comment j’ai fait partie de ça, de cette cette formidable intuition qu’a eue Jean Vilar du Festival d’Avignon ? J’ai rencontré Vilar sur la plage de Sète, je connaissais sa femme, je photographiais ses enfants, je babysittais ses bébés. Après, quand on voit la révolution culturelle que représente le TNP, ce que ça a signifié de faire un théâtre "haut de gamme", comme on dit maintenant, pour tout le monde, d’aller chercher les gens des usines, et de créer d’autres façons de les accueillir : pas de pourboires, des sandwiches à prix coûtant, pas besoin de s’habiller, des horaires de spectacles plus tôt. Quand on y réfléchit, ça a été une grande chose.
À partir de là, tout le théâtre s’est rescindé entre théâtre de boulevard et théâtre populaire, inventif et pas seulement pour les grands classiques. J’ai été élevée là-dedans, mais par hasard. J’ai tant appris en regardant travailler Jean Vilar !
Sur ce, Chris Marker va en Chine. Il lui manque des plans quand il en revient. Je filme avec lui des petits chats en papier découpé, disons des plans de coupe qui lui manquaient. Pour me remercier, dans le générique, pour me faire une blague, il me qualifie de "conseillère sinologue", alors que je n’avais aucune culture de la Chine et je ne suis pas particulièrement intéressée par la géographie. Les Amitiés franco-chinoises me disent : "Vous êtes sinologue, on va vous inviter parce que vous êtes bonne photographe". Je fais alors partie d’une petite délégation dans laquelle il y a une dame spécialiste de radio, un de conserves, un syndicaliste, des techniciens qui pouvaient les aider à faire des progrès au même titre que les "camarades conseillers" soviétiques. Je n’ai jamais été d’aucun parti, mais ça se trouve comme ça.
Me voilà en Chine au début d’une révolution qui a été extraordinaire au début, comme la révolution cubaine. Maintenant c’est trop facile de taper sur tout ça. Il faut se souvenir de l’enthousiasme qu’il y a eu en France. Tout le monde, les gens de gauche, les jeunes aimaient Fidel, et adoraient le Che. Il y a eu un espoir extraordinaire quand même. C’était en 1957.
En fait, j’ai été au début de grandes utopies, de grandes révolutions. La grande chance que j’ai eue, c’est d’avoir été là.
L’histoire des femmes, dont j’ai beaucoup parlé, ce n’est pas seulement militer pour l’avortement. La vraie révolution était qu’on pouvait contrôler les naissances. Une découverte scientifique et médicale qui est un progrès extraordinaire, après des siècles d’ignorance et d’enfants en grand nombre (ma grand-mère a eu douze enfants et deux fausses couches), après les moyens de contraception bricolés. Ensuite on entre dans l’histoire locale du Planning familial, du MLF, des voyages organisés pour avorter à l’étranger, jusqu’aux lois libéralisant la contraception et l’avortement, etc. Tout ça, c’étaient des circonvolutions autour du fait essentiel qu’on pouvait, qu’il fallait transmettre les connaissances concernant le contrôle des naissances. Quarante après, c’est encore loin d’être efficace. Mais je trouve extraordinaire que dans le courant d’une petite vie, la mienne, j’ai vu tant d’évolutions et de révolutions.
Il y a eu d’autres sujets dramatiques : la guerre d’Algérie, le Vietnam (j’ai fait partie de l’entreprise de Loin du Vietnam qui n’a pas été une réussite).
C’est ça le sous-texte qui est évoqué dans Les Plages, au-delà du portrait et parmi les extraits de mes films anciens.
Je raconte aussi les débuts ce qu’on a appelé, plus tard, la Nouvelle Vague, ce feu d’artifice de jeune cinéma, d’idées différentes, ce printemps de cinéma, cette éclosion de talents, entre 1958 et 1964. Je suis encore là, au milieu d’eux dans ce temps-là et même encore un petit peu avant.
C’est évident que mon combat, mon énergie, c’est de faire du cinéma. Avec des sujets, des formats, des durées qui me conviennent et en pratiquant la "cinécriture". On écrit le cinéma. On n’écrit pas seulement en scénario, on écrit en musique, on écrit en montage et en mixage.
En littérature on dit "il ou elle a un beau style".
En cinéma, on dit il y a un bon scénario, de bons dialogues.
On parle de cinéma d’auteur. Moi, je parle de l’écriture-cinéma qui englobe tous les choix successifs.
JC : Les Plages d’Agnès me semble être l’aboutissement de tout ce que vous avez fait, une espèce de culmination, de quintessence, le bonheur d’englober tout ce que vous êtes.
A.V. : Je ne m’en suis pas rendu compte en le faisant.
J’ai essayé d’amener tous ces hasards objectifs de ma vie à me raconter et à installer une réflexion sur ma méthode de travail. J’explique comment j’ai fait La Pointe courte, pourquoi avec Cléo mon inspiration venait aussi de certaines peintures. Je parle un peu des travelings de Sans toit ni loi et comment j’ai fait trois films en réalisant Jacquot de Nantes.
C’est ça qui était le plus difficile à mettre au point : je voulais raconter mon travail sans que ce soit une conférence ou un cours à la FEMIS. Mon idée consistait à alterner ou plutôt à espacer les propos de la cinéaste qui réfléchit à ce qu’elle fait avec ce que je dis sur ma propre vie.
Maintenant, je le comprends. Quand je tournais et je montais, je posais des pièces, les pièces d’un puzzle. Et à la fin, ça dessine un paysage, ça dessine une époque et ça dessine une mémoire. En me lançant dans cet ensemble que je voulais construire, le hasard m’a tout le temps servie.
JC : Vous disiez que c’est votre dernier film.
A.V. : Je n’ai pas l’intention d’arrêter de tourner.
Je ne suis pas du tout contre l’idée de service public à la télévision. On y voit des choses très bien, des documentaires, des films de fiction, même si elles ne sont pas mises en valeur comme il le faudrait.
À la télé, on annonce les programmes, on les diffuse, on en parle et c’est fini.
Au cinéma, la carrière du film est importante Je comprends les distributeurs qui ont la trouille de ne pas récupérer le prix des copies et le prix de la pub. Quand on voit ce que ça veut dire comme investissement, comme risques gigantesques.
À Ciné-Tamaris, on a mis des années à remonter la pente après l’échec des Cent et Une Nuits, on a failli couler. Mais j’ai continué à chercher de l’argent pour d’autres films. Maintenant, je suis une vieille dame. Il faut que je mette en place un système un peu égoïste. Tant que j’ai un peu de temps et d’énergie. Je voudrais encore faire des "installations".
JC : Justement vos installations... J’aimerais qu’on aborde cet autre aspect de votre travail dont on ne parle pas assez.
A.V. : Mon expo à la Fondation Cartier était pour moi une joie immense parce que c’est un travail qui utilise ce que j’ai plus ou moins fait au cinéma, mais pour un autre rapport au public, un autre rapport au regard des visiteurs. C’est intéressant comme tout.
J’ai toujours suivi l’art contemporain : les travaux de Michael Snow dans les années 60, les travaux extraordinaires de Bill Viola depuis déjà longtemps (j’ai été à Londres pour voir son exposition), j’ai connu tous ces gens.
Certains ont été déterminants pour choisir où j’allais.
Andy Warhol a percuté bien des choses. Sur la durée, sur le temps. Cette recherche expérimentale est parallèle au cinéma.
Jonas Mekas, dans son genre, qui filme n’importe quoi, est exposé dans les musées. Comme d’autres qui viennent des arts et utilisent le cinéma, Sophie Calle ou Boltanski dont j’ai toujours aimé le travail.
La sollicitation par rapport au spectateur est très différente. En fait, on prend beaucoup plus de risques. On est beaucoup plus seul avec sa création.
Au cinéma, les gens sont entrés, et ils restent jusqu’à la fin du film (c’est rare qu’ils sortent). Tu peux leur raconter ce que tu veux. Dans le film, je parle de Jacques qui est mort. Après il y a un plan de moi, je suis de dos, assise, emballée dans des bandelettes blanches, je ne bouge pas, et puis je mets la musique en route. La disposition du plan est une copie d’une sculpture de George Segal (une femme assise de dos, vêtue de blanc, devant une table avec une radio). Cette œuvre racontait mon vécu.
Dans une installation, le spectateur passe devant, regarde, reste ou ne reste pas. Tu ne peux même pas les obliger à profiter ou à souffrir de la durée que tu as instaurée. C’est un autre rapport car la chose est là, offerte, elle est un peu flottante.
Quand j’ai été invitée par Obrist à la Biennale de Venise en 2003, j’ai sauté sur l’occasion. J’ai fait une pièce qui s’appelait "Patatutopia" avec trois très grands écrans. J’aime beaucoup le chiffre trois, c’est tout mon amour pour les triptyques anciens, toute cette peinture flamande avec ces panneaux qu’on n’ouvrait que le dimanche comme dans certains hôpitaux.
J’aime beaucoup toute cette cérémonie de découvrir l’image. Le hors champ m’intéresse et m’intrigue. Des questions que les installations permettent d’aborder dans de l’espace.
Dans la peinture ou le cinéma, il faut faire entrer dans un espace plat ce qui n’est pas plat.
Dans les installations on travaille en diverses dimensions. D’où par exemple les chaises pour regarder Les Veuves de Noirmoutier, on ne peut en regarder qu’une à la fois, en toute intimité. Ce que je cherche au cinéma, autrement, la communication avec les gens. Ici c’est littéral. Une seule veuve qui parle, une seule personne qui l’écoute
JC : En même temps j’ai trouvé que c’était frustrant. On ne peut pas monopoliser les places.
A.V. : T’avais qu’à attendre et rester pour écouter les autres veuves, une à une. C’est le temps d’un court métrage. Et puis on partage. Tous les câbles électriques étaient placés par terre. J’ai trouvé très émouvant de voir les gens passer leur casque à quelqu’un qui attendait. On essaye de voir ce qui se passe entre des gens qui regardent, ce n’est pas comme une salle dans le noir. On change de chaise, on va vers quelqu’un d’autre.
JC : Dans ce qu’il y avait à la Fondation Cartier, c’était ce qui était de plus proche du cinéma, au moins dans la fabrication.
A.V. : Oui. Il y avait l’écran du milieu où les veuves tournaient autour d’une table sur la plage. Ça, c’était continu, avec un peu de musique, un peu de bruit de mer. C’était non-stop. Il y avait la continuité et le discontinu des rencontres qui étaient juxtaposées. On explore un autre rapport avec le continu et le discontinu. Avec une relative frustration de ne pas toutes les entendre. Mais l’expérience a été concluante.
À partir de cette installation, Arte m’a dit qu’il fallait absolument faire un documentaire. J’ai cherché la meilleure façon de le faire. Donc, en un documentaire continu, on voit des femmes qui tournent autour de la table, puis une veuve, puis il y a un petit clapotis d’eau, et puis une autre veuve.
Quand tu es diffusé sur Arte et que tu touches un petit nombre de spectateurs, c’est quand même un million et demi. Ça veut dire nombre de gens qui ont regardé et qui ont été émus. J’ai eu énormément de retours.
Le documentaire pour la télé, c’était bien. Mais sans aucun doute, je préfère l’installation, parce qu’avec ces chaises, avec ce mouvement, le fait de prendre acte, de se mettre à l’écoute d’une personne, c’est très signifiant. On entre dans la confidence, dans un rapport de personne à personne. Moi-même, j’avais filmé chaque veuve, quelque fois seule avec ma petite caméra.
JC : Il y avait aussi des choses détachées du cinéma, des objets associés comme les accessoires de plage par exemple. On retrouve ce qu’il y a dans tes films, cet amour pour les objets du quotidien.
A.V. : C’est plus que les objets, c’est la matière. Ici, dans Ping Pong Tong, c’était le plastique. Qu’est-ce qu’on a fait de belles choses en plastique ! Et quelles couleurs ! Pour les colonnes, j’ai fait faire une tige filetée, un poids en bas. On perçait des seaux et les baquets. C’est moi-même qui choisissais les couleurs des contenants et puis on vissait un écrou en haut de la colonne. J’adore cette utilisation du plastique coloré.
Bien sûr, c’est la joie de l’été, c’est la joie des couleurs, de même que j’ai photographié ces tongs à un euro comme on photographie des chaussures de chez Dior. J’aime bien aller à contre-courant de toutes ces pubs de luxe dans les magazines.
Et puis, un matelas de plage en caoutchouc bombé sur lequel je projetais un petit film que j’avais fait sur la couleur. On a mis deux mois pour trouver des objets, des habits, des sacs sans marques, sans pub, sans Walt Disney. Des couleurs pures qui étaient parfois des exemplaires uniques, comme un petit sac violet. Ça va bientôt être des objets de collection. C’était un jeu-hommage aux couleurs vives de l’été. Tout à fait à l’opposé des Veuves et juxtaposé.
Dans la vie de tous les jours, tout est juxtaposé. Notre vie n’est qu’un zapping, de plus en plus rapide d’ailleurs.
Dans une même journée, on vit plusieurs vies. Dans un film aussi. Mon bric-à-brac personnel, j’ai réussi à le représenter comme un puzzle à reconstituer.
Dans un film normal, tu ne peux pas changer les pièces. Alors que dans l’expo, tu peux changer d’époque, de climat, d’impression.
JC : Pour terminer sur cette installation, ce qui m’a le plus impressionné, c’est la petite cabane avec la pellicule des Créatures.
A.V. : C’est là où je me suis dit vraiment, et je le dis dans le film : Qu’est-ce que c’est le cinéma ? De la lumière qui est arrêtée par des images.
L’idée était liée au bâtiment de Jean Nouvel. On fonctionne toujours avec des hasards, des opportunités. Je me suis dit lumière, lumière donc cinéma. Ça se met en place tout seul. Ça se combine avec mon idée de récupération, de glanage.
C’est vrai que Les Créatures ont été un flop. Pourtant avec un merveilleux Piccoli, une merveilleuse Deneuve. On avait ces copies en stock. L’idée d’en faire une cabane m’a enchantée. En récupérant une vieille porte, une vieille fenêtre, on va faire une vraie maison. Le toit sera en fibrociment translucide et on mettra du film dessus. Un serrurier a fait la structure. Avec l’équipe de Ciné-Tamaris, on a habillé les panneaux avec les pellicules du film. C’est vraiment toute une copie des Créatures, plus une bobine, en tout à peu près 3800 mètres. On a mis les gros plans de Deneuve et de Piccoli à hauteur d’œil pour qu’on les identifie. Il se trouve que ce film bizarre avait des séquences en rouge et en rose.
Et puis, j’ai dit : "Il faut que ça fasse cabane, comme celles dans les bois. Il faut acheter des plantes." On a acheté des plantes. C’est une cabane, on a tous aimé les cabanes, on a tous construit des cabanes avec des vieilles caisses en bois, en carton. Quel est le rêve pour un cinéaste sinon une cabane de cinéma ? C’est simplissime : l’envie de la cabane, l’envie d’être à l’abri, d’être dans ce qu’on aime. Je me suis dit, on fera une banquette avec des bobines en boîtes de métal, collées, on aura un petit tabouret.
Je me régalais en allant parfois le matin avant tout le monde. Le soleil tapait et la cabane était tout illuminée. Le soir, le soleil ne tapait pas. Il y avait donc ce que le cinéma connaît, à savoir l’évolution de la lumière sur un objet. Les visiteurs ne voyaient pas tous la même lumière. J’étais heureuse d’avoir trouvé ça et quand je m’asseyais dans la cabane, je me disais : "Je suis bien". Je suis bien dans quelque chose qui mêle en même temps l’imagination, le cinéma, une sorte d’aspiration enfantine à se planquer, comme je me planque dans la baleine d’ailleurs, comme Jonas.
Je ne suis pas une réflexive. Je n’ai pas écrit sur le cinéma, mais je me suis posée des questions sur ce que c’est que ce flot de lumière qui nous rend heureux, à la fois dans les films et dans cette installation.
JC : Comme dans ce début des Plages avec le jeu des miroirs sur le sable.
A.V. : Ça part d’une idée simple. Qu’est-ce que fait le peintre qui se peint ? Il se met devant un miroir. Le miroir est l’outil de l’autoportrait, mais moi je le retourne vers les autres. Tout est dit dans cette séquence.
JC : Vous êtes au cœur même de la rencontre entre le travail d’installation et la mise en scène.
A.V. : On est dans la mise en place qui est le travail de cinéaste, mais il y a aussi les effets de l’installation qui sont assez beaux quand dans un miroir il y a un autre miroir, qu’une personne entre et disparaît. Le miroir non seulement reflète mais capte, transforme, déforme. J’aime bien l’idée de voir la mer partout et de ne pas savoir où elle est.
Propos recueillis par Bernard Nave
Paris, le 17 février 2009
Jeune Cinéma n°322-323, printemps 2009