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Ondine (2019)
de Christian Petzold
publié le mercredi 7 octobre 2020

par Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle de la Berlinale 2020
Ours d’argent de la meilleure actrice pour Paula Beer

Sortie le mercredi 23 septembre 2020


 


Dans la mythologie germanique, une ondine est une créature des eaux douces (rivières, lacs, fontaines), génie farouche mais bienfaisant dont les humains doivent prendre soin car elle préserve la ressource (les larmes des ondines produisent l’eau des fontaines). Ces nymphes très belles et très humaines peuvent avoir des relations avec les terrestres, mais le prix à payer pour eux est une fidélité totale, au risque de mourir par étouffement. Les représentations d’ondines, dans la littérature, la poésie, la peinture, ont été nombreuses, notamment à l’époque romantique et à la fin du 19e siècle, à l’époque prussienne, dans l’art Jungendstil (l’équivalent allemand de l’Art Nouveau) ; les fontaines sculptées sont pleines d’ondines et de wassermann (leur équivalent masculin). La légende a aussi été revisitée par des écrivains contemporains, notamment la poétesse Ingeborg Bachmann, dont la nouvelle Ondine s’en va a inspiré Christian Petzold. (1)


 

C’est en s’imprégnant de cette légende que le réalisateur construit son film dans le Berlin actuel, sans essayer d’en faire une transcription fantastique ni spectaculaire. Par touches légères, par légers déplacements, portant une attention soutenue aux visages de ses acteurs et aux lieux, il s’attache au quotidien de personnages de la classe moyenne.
Ondine est guide free-lance au Sénat de Berlin, conduisant des groupes devant des maquettes pour illustrer l’histoire de l’urbanisme de la ville (qui s’est édifiée sur un immense marécage).


 

Johannes, son amoureux infidèle, l’attend à la terrasse d’un café proche où elle le rejoint entre deux groupes de visiteurs. Leur relation est orageuse, Ondine le somme de l’attendre une demi-heure avant qu’elle ne revienne, sinon, dit-elle, elle sera obligée de le tuer. Mais Johannes n’attend pas, prisonnier de son téléphone mobile qui l’appelle ailleurs...
Première scène à la fois banale et étrange : le film est ainsi posé. Ce sera le récit d’une double relation amoureuse qui se complexifiera avec l’apparition, troublante pour Ondine, de Christoph, scaphandrier de métier ayant assisté à l’une de ses conférences, qui va entrer dans sa vie et révéler toute sa passion. Christoph est un jeune homme cabossé, un peu fruste, mais à la parole et aux gestes doux ; il est tout le contraire de Johannes, jeune bourgeois ambitieux. L’accomplissement et le drame arrivent de pair, de même que les destins d’Ondine et celui de Johannes, conformes à la légende. Christoph survivra, homme simple et honnête, marqué à jamais par le passage d’Ondine dans sa vie.


 

Car il s’agit bien du portrait d’une femme actuelle et de sa passion amoureuse. L’actrice Paula Beer, au cœur de ce film, l’irradie. Et bien surprenant est Franz Rogowski (Christoph), acteur tout à la fois physique et d’une grande sensibilité - on trouvait déjà ces deux acteurs dans le film précédent de Christian Petzold, Transit (2). C’est aussi une belle proposition qui n’épuise rien, ni de son sujet ni de ses références à un lieu (Berlin, lieu du cinéma de Petzold) et à une mythologie populaire. Enfin c’est un film qui persiste longtemps dans la mémoire de son spectateur.


 


 

L’eau en est le vecteur principal, la matrice dans laquelle l’amour se révèle. Dans L’Atalante, Juliette dit à son jeune mari Jean, le marinier : "Tu ne sais pas que dans l’eau on voit ceux qu’on aime ?". Celui-ci plongera plus tard dans la Seine, lorsque Juliette le quittera temporairement, pour essayer de la retrouver : sublime scène de cinéma sous l’eau où Jean Dasté (Jean) nage les yeux grands ouverts pour tenter d’apercevoir une Juliette (Dita Parlo) en robe de mariée flottant dans les ondes.


 


 

De même dans le film de Christian Petzold, les séquences sous-marines sont belles, simples et énigmatiques : l’apparition d’un silure lors des plongées de Christoph, sa découverte d’une inscription sous-marine sur le barrage près duquel il travaille et, à la fin du film, sa recherche désespérée d’Ondine qui a disparu dans les eaux du lac.


 

Un bon film en appelle d’autres, s’inscrit dans une histoire des formes et des cultures. C’est ce que réussit Christian Petzold avec Ondine, en prouvant une fois de plus que le cinéma n’est jamais si intéressant ni universel que lorsqu’il prend appui sur une réalité et une histoire des lieux, même très locales. Nul besoin d’engager des moyens faramineux, ni des effets numériques : l’économie sied bien à ce film très maîtrisé et tout en nuances.

Francis Guermann
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Undine geht ("Ondine s’en va") est une des sept nouvelles, un poème en prose, du recueil de Ingeborg Bachmann, Das dreissigste Jahr, Munich, Piper Verlag, 1961. En France, La Trentième Année, traduction de Marie-Simone Rollin, Paris, Seuil, 1964.

2. Transit de Christian Petzold (2018), d’après le roman de Anna Seghers, avec Franz Rogowski et Paula Beer, a été sélectionné en compétition officielle à la Berlinale 2018.


Ondine (Undine). Réal, sc : Christian Petzold, d’après Ingeborg Bachmann ; ph : Hans Fromm ; mont : Bettina Bôohler. Int : Paula Beer, Franz Rogowski, Maryam Zaree, Jacob Marschenz (Allemagne-France, 2019, 90 mn).



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