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Haudiquet, Philippe (1937-2020) II
Il était une fois le Larzac
publié le vendredi 23 octobre 2020

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°391, décembre 2018


 


Au moins deux générations séparent les zadistes occupant le site de Notre-Dame-des-Landes de leurs prédécesseurs du causse du Larzac. Pourtant, les deux projets, derniers feux du gaullisme finissant, sont contemporains et l’idée de l’aéroport maudit fut même concoctée avant celle de l’extension du camp militaire : l’État y pensa dès 1968, alors que la fatale décision de Michel Debré (l’homme à l’entonnoir sur la tête, immortalisé par Cabu) ne date que du début de 1971.


 

Mais l’armée ayant plus d’importance que les civils, les choses allèrent plus vite du côté de l’Aveyron, le Larzac n’étant peuplé que d’une grosse centaine de paysans et de dizaines de milliers de brebis qui n’avaient pas voix au chapitre. Et les décrets d’extension du terrain militaire et d’expropriation des habitants furent pris dans la foulée. Aucun officiel ne pouvait imaginer que ces quelques bergers-agriculteurs, catholiques, pensant bien, votant tricolore et pères de famille respectueux de la loi, allaient se rebiffer et se mettre à agir ensemble. En mars 1972, le "serment des 103" paysans rebelles, refusant de quitter les lieux, fut un coup de tonnerre.


 


 


 

Qui retentit loin et ne tomba pas dans des oreilles sourdes. Les braises de Mai 68 n’étaient pas éteintes, les cheveux avaient poussé aussi vite que la radicalité, n’importe quel événement était utile pour relancer la lutte, une lutte qui marqua la décennie tout entière, de Lip à Plogoff, (1) pour s’en tenir aux grands mouvements. Le Larzac donna lieu aux regroupements les plus massifs, et, entre 1973 et 1976, plusieurs centaines de milliers de personnes arpentèrent le plateau à l’occasion des différents rassemblements, recréant Woodstock, la musique en moins et un projet en plus.


 


 


 


 

Le plus étonnant était la diversité des manifestants : toutes les composantes du gauchisme, évidemment, mais aussi les hippies, les jeunes catholiques, les marginaux sans obédience, les militants de la paix, les féministes, les non-violents de Lanza del Vasto, on en passe. Des manifestants qui n’avaient pas à affronter grand monde, les forces de l’ordre restant extrêmement prudentes. On voit juste, dans Gardarem lo Larzac, un hélicoptère tournoyer au-dessus de la foule, et dans Les Bâtisseurs. Larzac 1975-1977, quelques soldats "occupants"). Le tout restait festif.


 


 

Ce qui comptait, c’était certes le soutien du grand nombre, façon d’inquiéter le pouvoir lointain, mais surtout le soutien à l’échelle individuelle, de la part de militants de terrain, non pas mobilisés le temps d’un week-end, mais travaillant aux côtés des paysans - l’édification sans autorisation, sur une parcelle expropriée, de la bergerie de La Blaquière par des bénévoles chevelus fit beaucoup pour le rapprochement entre locaux et "étrangers". Et lorsque, en 1975, un plasticage détruisit une partie de la maison de Antoine Guiraud, une des figures du mouvement, des dizaines de volontaires se lancèrent dans sa reconstruction (2). C’était enfin, dans la pratique, la réalisation du slogan de Mai sur la solidarité entre étudiants, ouvriers et paysans.


 

On a un peu oublié la période - quarante-cinq ans, c’est l’Antiquité -, mais le Larzac fut une casserole bouillante que les présidents successifs, Pompidou et Giscard, se repassèrent, avant que Mitterrand, dès son accession, mette fin au projet (comme il l’avait promis trois ans plus tôt) et à dix années de combat obstiné, mais sans violence - il n’y eut que peu de répression active et peu de blessés.


 


 

Curieusement, les cinéastes militants ne furent pas nombreux à faire le voyage vers le causse, entre 1973 et 1978, et à faire partie du comité d’accueil, lors des déplacements à Paris en 1973. On connaît surtout les images et les témoignages recueillis là-bas par Philippe Haudiquet (3).


 


 

Il n’alla pas là-bas en promeneur, mais suivit une bonne partie de la lutte au fil des années, et les portraits qu’il trace des protagonistes sont remarquablement précis, de Villages du Larzac dans lequel on découvre les premières figures parmi les "103", jusqu’aux Bâtisseurs. Larzac 1975-1977, qui établit un bilan provisoire.


 


 

Gardarem lo Larzac (4) est le plus combatif, qui rend le mieux compte de l’ampleur du soutien, avec les 100 000 participants du rassemblement d’août 1974.
Même s’il admire, dans le film qu’il lui consacre en 1993, Georges Rouquier (5) tournant Biquefarre et "dirigeant" ses paysans-acteurs afin qu’ils soient conformes à l’image qu’il veut transmettre, Philippe Haudiquet se garde d’intervenir : il filme juste, au plus près, captant la parole à la source.


 


 


 

Moments peu oubliables pour qui a suivi l’époque.
Si ces luttes sont désormais historiques, l’élan ne s’est pas évaporé : lorsque Christian Rouaud tournera Tous au Larzac en 2011, il constatera que, comme dans son film précédent Les Lip, l’imagination au pouvoir (2007), les survivants n’avaient rien perdu de leur vivacité ni de leurs certitudes. On les comprend.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°391, décembre 2018

*Cf. aussi Retour sur Philippe Haudiquet.

1. Plogoff, des pierres contre des fusils de Nicole Le Garrec (1980).

2. Réponses à un attentat (1975) court métrage de 9 mn, est sorti en salle avec Les Bâtisseurs.

3. Il faut citer aussi le collectif "Cinéma politique" avec Tous au Larzac 73-74. (1973). Tous au Larzac de Christian Rouaud date de 2011.

4. Le film Gardarem lo Larzac (1974) a été sélectionné, en 1974, aux Visions du Réel de Nyon, et, en 1975, aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal ainsi qu’au festival international du documentaire de Bruxelles, Millenium.
Le 6 juin 1975, est paru le premier numéro du journal Gardarem lo Larzac. Il comptera bientôt 4 000 abonnés et sera la gazette de la résistance.

5. Georges Rouquier ou la belle ouvrage de Jean Arlaud & Philippe Haudiquet (1993).


* Les paysans ne sont pas à vendre.
Coffret de 4 DVD (treize films documentaires), Éd. Les documents cinématographiques.


* Villages du Larzac. Réal : Philippe Haudiquet, assisté de Dominique Bloch et Jean-Paul Morel ; ph : Jean-Claude Boussard, Jean Harnois, Yves Lafaye & Michèle Lafaye ; son : Alain Lachassagne, Henri Moline, Georges Prat & Jean Trenchant ; mont : Chantal Rémy (France, 1973, 30 mn). Documentaire.

* Gardarem lo Larzac. Réal : Dominique Bloch, Philippe Haudiquet & Isabelle Lévy. Avec la collaboration de Jean-Claude Boussard, Jean-Claude Dubois, Françoise Clausse, michèle Ferrand, Alain Lachassagne, Yves Lafaye, georges Prat, Michel Langrognet, Jean et Marie Trenchant, et les musiciens du Bourdon (France, 1974, 80 mn).

* Réponses à un attentat. Réal : Philippe Haudiquet (France, 1975, 19 mn).

* Les Bâtisseurs. Larzac 1975-1977. Réal, sc : Philippe Haudiquet assisté de Françoise Clausse ; ph : Claude Beausoleil, Jean-François Robin & Richard Kuziemski ; son : Alain Lassachagne & Henri Roux ; mont : Amélie Cabral. Avec la participation des agriculteurs du Larzac, de leurs familles et de leurs amis (France, 1977, 78 mn).



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