par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°359, mai 2014
Sélection de la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2013
Sortie le mercredi 30 avril 2014
Trois cinéastes, Peter Greenaway, Edgar Pêra et Jean-Luc Godard, face à la 3 D et à son influence sur le cinéma. Chaque réalisateur, fidèle à son style et à son écriture, y développe de courtes histoires. En toile de fond, la ville médiévale de Guimaraes, berceau de la civilisation portugaise. (1)
Dans la première, Just in Time, Peter Greenaway s’en donne à cœur joie et utilise à bon escient les effets de la 3-D.
Il use - et abuse - de surimpressions et superpositions de scènes, surenchère d’images de bûchers et de tortures intercalées de scènes galantes longuement filmées dans un plan-séquence répété trois fois, augmenté qui plus est, dans l’effet visuel, par la spatialité de la 3-D et l’utilisation esthétisante du texte inscrit dans la profondeur de l’image.
Un court métrage baroque, truculent, fou et répétitif, traversant époques et Histoire.
Edgar Pêra, réalisateur portugais, choisit pour sa démonstration la salle de cinéma et ses spectateurs. Dans une débauche d’effets sonores et un montage d’images glanées dans le passé du cinéma, il fabrique une espèce de jeu de cirque, où attractions et divertissements élaborent un néocinéma qu’il nomme Cinésapiens, remontant aux origines de l’image rupestre et à celles du cinéma des frères Lumière, interpellant les spectateurs saisis d’effroi ou surpris par le déferlement d’images et d’émotion. Spectacle croquignolesque de grimaces et de singeries mettant en cause théorie, pratique filmique et ressenti des spectateurs.
Jean-Luc Godard clôt la proposition par un film au titre prémonitoire, The Three Disasters.
Reconnaissable entre tous, il prolonge son Histoire(s) du cinéma de sa voix tremblante aux accents de prophète. Les images et les passages de l’une à l’autre sont liés par un montage toujours exceptionnel, invoquant la mémoire d’un passé. Il y est question de la "dictature du numérique" et comme souvent dans ses films, de beaucoup de mélancolie, et d’interrogations sur de possibles perspectives de l’humanité.
Autant les deux réalisateurs précédents expérimentent la 3-D, avec jouissance et brio, autant Jean-Luc Godard la néglige, l’utilisant sans enthousiasme au profit d’un questionnement philosophique sans fin sur le cinéma.
Un film inventif, instructif et beau dont l’enjeu est somme toute, plus esthétique et formel que tridimensionnel.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°359, mai 2014
1. Le film est une commande de la ville de Guimarães, désignée comme capitale européenne de la culture en 2012.
3 x 3-D. Film à sketches, composé de trois segments :
* Just in Time. Réal, sc : Peter Greenaway ; ph : Reinier van Brummelen ; mont : Elmer Leupen.
* Cinesapiens. Réal, sc : Edgar Pêra. ph : Luís Branquinho. Int : Pedro J. Ribeiro, Jorge Prendas, Nuno Melo, Ângela Marques, Leonor Keil, Keith Davis, Tiago Correia Carolina Amaral, Miguel Monteiro.
* The Three Disasters. Réal, sc : Jean-Luc Godard.
(France-Portugal, 2013, 62 mn).