home > Films > Un caïd (1965)
Un caïd (1965)
de Bryan Forbes
publié le mercredi 17 mars 2021

par Sol O Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le vendredi 7 janvier 1966


 


La liberté, c’est, sans doute, avec l’amour, le mot des langues occidentales le plus et le mieux connoté, plein à ras bord de représentations, de désirs, d’histoire, et cela, des conversations interpersonnelles aux frontons des monuments, en passant par les slogans militants. Pour amplifier encore le phénomène, sa multitude d’antonymes, l’esclavage, la servitude, l’enfermement, est lourdement chargée d’inhumanité, de déshonneur, de souffrance. Qui a trouvé l’amour et la liberté ne peut se plaindre de rien.


 

Généralement, d’ailleurs, on oublie les nuances de cette liberté chérie, la physique, la sociale, la mentale. C’est dans cette faille que s’insinue subtilement le film de Bryan Forbes, Un caïd, alias King Rat, un film américain réalisé à l’anglaise, un film méconnu, qui, par ces temps de confinement, nous revient en boomerang. (1)
L’histoire se déroule en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un camp japonais de prisonniers alliés, Changi Jail, à l’Est de Singapour. C’est un enfer. Le rêve ultime, l’évasion, est inatteignable, les barbelés et les flingues japonais se doublant de l’environnement du camp, la mer et la jungle, et la fin de la guerre, elle-même, finit par devenir improbable.


 

Les misérables internés, de tous grades et de toutes classes, manquent de tout, la seule quête, c’est la survie jour par jour, et pour cela ils se raccrochent aux choses les plus infimes pour survivre physiquement, moralement, émotionnellement. La mort est là, en embuscade, pouvant survenir à tout instant par famine ou par blessure, et les Japonais, qu’on voit très peu, ne sont pas les plus dangereux.


 

Certains sont généreux et solidaires, d’autres se soumettent, d’autres volent, tous rusent et errent comme des fantômes.
Dans cette société hétéroclite, le caporal King est le plus malin. Doué pour le commerce et l’innovation, il s’adonne à des trafics crados, cyniques, impitoyables. Peu à peu, il parvient à régenter le camp tout entier, y compris les officiers supérieurs.


 

Ses méthodes ne sont pas contestées, il a gagné, grâce à sa richesse, une place sociale enviable, d’une certaine façon, il a gagné sa liberté. La micro-société qui l’entoure, elle, semble se stabiliser derrière cette "autorité" compatriote, retrouvant, derrière les murs du camp, le pouvoir, le fric, la corruption, succédanés des habitudes familières du monde extérieur. Le film aurait presque pu s’arrêter à ce stade, et, avec une fin habile, il aurait joué dans le registre de la métaphore critique d’un système.


 

Mais Bryan Forbes, réalisateur d’une vingtaine de films, est aussi acteur et romancier. Et avec James Clavell, à partir du premier roman quasi autobiographique de celui-ci, il était difficile aux deux co-scénaristes de se contenter d’un portrait de groupe et d’une sensibilité généraliste voire politique.


 

C’est que le caporal King est le héros, le propos du film. On comprend peu à peu, d’où il vient, le paria qu’il est, on découvre son immense solitude, on réalise comment la guerre, qui fait rage dehors comme dedans, a pu le façonner.


 


 


 

Quand advient la libération du camp, la longue fin déchirante du film révèle comment ce bagne aura été, pour le petit caporal, la période la plus heureuse de sa vie : la liberté dans une courte parenthèse paradoxale, et l’amour - équivalent l’amitié – dans une totale illusion.
King Rat, comme métaphore de toute vie. (2)

Sol O Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Ce texte date de mai 2020, temps de pandémie et période du 1er confinement en France (17 mars-11 mai 2020).
Cf. aussi Jeune Cinéma n°13, mars 1966.

2. King Rat a été nommé aux Oscars 1966 pour la meilleure photographie (Burnett Guffey) et pour les meilleurs décors en noir et blanc (Robert Emmet Smith et Frank Tuttle).


Un caïd (King Rat). Réal : Bryan Forbes ; sc : B.F. & James Clavell d’après son roman éponyme paru en 1962 ; ph : Burnett Guffey ; mont : Walter Thompson ; mu : John Barry ; déc : Robert Emmet Smith & Frank Tuttle. Int : George Segal, James Fox, Tom Courtenay, Todd Armstrong, Patrick O’Neal, Denholm Elliott, James Donald, John Mills (USA, 1965, 134 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts