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Dans la brume électrique (2009)
de Bertrand Tavernier
publié le samedi 27 mars 2021

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°322-323, printemps 2009

Sélection officielle de la Berlinale 2009

Sortie le mercredi 15 avril 2009


 


L’amour de Bertrand Tavernier pour la littérature et le cinéma américains, policiers en particulier, n’ont plus besoin d’être soulignés. Pour son dernier film, il conjugue les deux et tourne l’adaptation du roman de James Lee Burke en Louisiane, sur les lieux mêmes (New Iberia et le bayou Teche environnant) où officie Dave Robineau, le policier fétiche de l’auteur. (1)


 

En choisissant d’adapter Dans la brume électrique avec les morts confédérés, il se donne un matériau narratif dense, complexe, pour lequel le choix de la fidélité suffirait amplement à garantir un film ambitieux.
Sans se départir de cette fidélité, il n’en pose pas moins son regard personnel, en premier lieu dans le choix de situer aujourd’hui une histoire écrite en 1993. Sans que ce décalage dans le temps ne change substantiellement le contenu de l’histoire, il permet toutefois de glisser l’impact de Katrina sur le paysage urbain et aussi les malversations qui ont abondé dans le sillage du vague plan d’aide décidé par l’administration Bush. Cet élément d’histoire récente se conjugue avec toutes les composantes de l’enquête conduite par Robineau, qui part du corps d’une prostituée pour en découvrir d’autres, y compris les restes d’un noir assassiné dans le bayou en 1965.


 

Cette enquête met au jour le rôle peu clair de notables locaux : Baby Feet Balboni, un vague entrepreneur amateur de beautés pulpeuses et faciles, qui finance un film tourné dans le voisinage, Twinkie Lemoyne, le patron de la sucrerie.


 

Robineau se meut dans cet environnement géographique et humain avec l’aisance de celui qui y a vécu toute sa vie. D’une certaine manière, en mettant ses pas dans ceux d’un tel personnage, Bertrand Tavernier se devait de s’imprégner de tout cet univers.
Le résultat est impressionnant de vérité, non celle d’un simple réalisme du détail, mais dans la mise en œuvre d’une représentation qui laisse la porte ouverte à un monde poétique, fantastique, un monde qui s’accorde avec la personnalité complexe de Robineau.


 

Les brumes, le mystère de la vie du bayou, le poids de l’histoire ouvrent son imaginaire sur des dimensions presque métaphysiques où les morts hantent non seulement son subconscient mais apparaissent littéralement à ses yeux, le général confédéré John Bell Hood entouré de quelques-uns de ses soldats. La première irruption du personnage laisse un peu dubitatif, mais devient très vite un élément indispensable dans l’architecture du film.


 

Bertrand Tavernier opère la jonction entre réalisme et fantastique avec beaucoup de finesse. Il donne à ce personnage fantasmatique l’existence d’un nom sur une tombe, et surtout met en place une idée de scénario magnifique : Robineau se fait photographier avec le général et ses soldats comme au temps de la guerre de Sécession. Scène totalement fantasmée et qui se trouve objectivée par la dernière scène du film - qu’il convient donc de ne pas révéler-, qui n’est pas sans rappeler la fin du Shining de Stanley Kubrick.


 

L’enquête de Robineau s’apparente à une déambulation dans les méandres d’une intrigue qui réserve sans cesse des surprises. Il est amené à s’affirmer face à sa hiérarchie, voire à travailler contre elle, à gérer tant bien que mal sa vie familiale, entraînant dans son sillage des amis surprenants, une enquêtrice du FBI toute surprise par ses méthodes, mais fidèle jusqu’au bout. Surtout, c’est un voyage onirique dans la personnalité complexe du personnage. Il se démarque totalement des clichés du flic auxquels nous sommes habitués. L’étoile discrète de shérif, la dégaine ordinaire en font un homme qui se fond dans le paysage, habité par un imaginaire fertile et un sens des valeurs en porte-à-faux avec la morale conventionnelle.


 


 

Une nouvelle fois, Tommy Lee Jones nous gratifie d’une composition éblouissante, comme si le personnage avait été écrit pour lui.
Mais c’est toute la distribution qu’il faut saluer à ses côtés. Bertrand Tavernier a certes eu la chance de pouvoir rassembler une telle pléiade d’actrices et d’acteurs. Mais il sait les diriger avec un sens de l’écoute étonnant et la mise en scène leur offre un cadre royal dans lequel il vont chercher tout ce dont ils sont capables pour explorer leurs personnages et les éclairer de manière constamment surprenante.


 


 

Une telle maîtrise de la mise en scène, de la direction d’acteurs n’est pas sans rappeler ce qu’il déjà avait accompli dans Coup de torchon qui était aussi l’adaptation d’un grand polar américain (2) Avec Dans la brume électrique, il nous offre sans doute l’un de ses plus beaux films.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°322-323, printemps 2009

1. James Lee Burke, In the Electric Mist with Confederate Dead, Chagrin Falls, Fireside Book, 1993). Dans la brume électrique avec les morts confédérés, traduction de Freddy Michalski, Paris, Payot, 1994.

2. Coup de torchon, sorti en 1981, est une adaptation du roman de Jim Thompson, Pop. 1280, New York, Gold Medal Books, 1964. 1275 âmes, traduction de Marcel Duhamel, Paris, Gallimard, 1966.


Dans la brume électrique (In the Electric Mist). Réal : Bertrand Tavernier ; sc : Jerzy Kromolowski & Mary Olson-Kromolowski d’après James Lee Burke ; ph : Bruno de Keyser ; mont : Thierry Derocles ; mu : Marco Beltrami. Int : Tommy Lee Jones, John Goodman, Peter Saasgaard, Mary Steenburgen, Kelly McDonald, Justina Machado, Ned Beatty, Buddy Guy (France-USA, 2009, 117 min).



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