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Arbre (l’) (2018)
de André Gil Mata
publié le mercredi 26 mai 2021

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 404-405, décembre 2020

Sélection officielle de la Berlinale 2018

Sortie le mercredi 26 mai 2021


 


Dans un paysage du bout du monde, isolé et sombre (en Bosnie-Herzégovine ?), André Gil Mata relate l’histoire d’un vieil homme, survivant de plusieurs guerres.
Au cœur du village endormi, il se prépare à aller chercher de l’eau pour ses voisins. Chargé d’une barre de bois sur les épaules d’où pendent des bidons vides, il entreprend un très long voyage en pleine nuit, à travers la forêt et sur le fleuve, où il rencontre un jeune garçon.


 


 

Dans le premier plan du film, un enfant dessine sur la buée d’une vitre, puis un lent zoom arrière découvre la pièce, deux assiettes sur la table et la mère qui enlace son fils. L’image peu à peu se referme sur des dessins de troncs d’arbres et d’écorces en gros plans. On apprend qu’il s’agit de gouaches sur papier du peintre portugais Rui Moreira. S’ouvre alors par un zoom avant très lent, un autre plan, une pièce dans laquelle le vieil homme dort, un chien à ses pieds.


 

Cinéma de la lenteur qui sied aux personnages comme aux histoires tristes et nostalgiques, un cinéma non pas en noir et blanc, mais plongé dans une dense obscurité, un cinéma proche de celui de Bela Tarr dont le cinéaste fut l’élève, qui par ses plans-séquences noue le regard, l’immobilise, le fascine et le mène au bout de la désespérance et de la désolation.


 

Dans ce climat cafardeux d’un lieu abandonné de tous, on ne sait pas si les habitants du village se sont enfuis ou s’ils sont morts assassinés par les fascistes, laissant seul ce vieil homme. Cette ambiguïté renforce le mystère de l’image, qui, dans sa noirceur particulière, fait appel à l’imaginaire le plus inquiétant, évoquant lointainement d’autres paysages, ceux peints par Arnold Böcklin, notamment les scènes sur le fleuve et la rive atteinte par la barque, la barque des morts.


 

Le vieil homme est-il le passeur ? Est-il l’enfant qui habitait cette maison avec sa mère ? Est-il celui qui a souffert de la guerre et des fascistes ? N’y-a-t-il qu’un seul personnage dans cette histoire, l’enfant et le vieil homme ne faisant qu’un ? Un homme qui a survécu aux atrocités des guerres, peu importe lesquelles. Et l’arbre, à l’ombre duquel il faisait bon se reposer, désormais dénudé par l’hiver, ressemble à ceux peints par Léon Spilliaert dans leur lumière crépusculaire.


 

André Gil Mata crée une atmosphère sans aucun dialogue, la nuit d’une vie présente et passée, interrompue par les cataclysmes de l’histoire. Il imagine et fabrique une suite de tableaux se mouvant lentement, paysages nocturnes éclairés de lueurs à l’instar de la peinture symboliste belge, par exemple celle de William Degouve de Nuncques.
Une mélancolie éveille les sens attirés par la matière picturale de l’image qui les porte tout naturellement à la contemplation.
Au long du film, seul le tintement intermittent des bidons d’eau chahutés par les mouvements du vieil homme est perceptible. Des explosions lointaines et un long monologue du vieil homme clôt ce film d’une beauté intemporelle.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 404-405, décembre 2020


L’Arbre (Drvo). Réal, sc : André Gil Mata ; ph : Joao Ribeiro ; mont : Tomas Baltazar. Int : Petar Fradelic, Sanja Vrzic, Filip Zivanovic (Portugal-Bosnie, 2018, 104 mn).



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