par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 406-407, printemps 2021
Sélection de ACID au Festival de Cannes 2020 (label)
Sortie le mercredi 26 mai 2021
Le film de Nora Martirosyan, a été tourné dans le Haut-Karabakh, petite république indépendante du Caucase depuis 1994, ancienne province arménienne enclavée dans l’Azerbaïdjan. Le cessez-le-feu n’empêche pas les convoitises de la Russie et de la Turquie, tandis que les chrétiens Arméniens et les musulmans Azéris continuent de s’entretuer.
Le Haut-Karabakh lutte pour son existence et sa reconnaissance internationale. Dans ces paysages magnifiques, un point d’ancrage focalise les regards et les espoirs, un gigantesque aéroport sans aucun trafic, dont l’architecture moderne d’acier et de verre occupe le territoire. Alain (Grégoire Colin), auditeur expert, y débarque pour en vérifier la possibilité d’ouverture.
L’acteur déambule dans le vaste espace et ses alentours, accentuant encore par sa stature longiligne l’aspect désert du lieu et son isolement. Cet aéroport est absolument vide, quelques membres du personnel y travaillent, le directeur évoque la guerre, la pauvreté des paysans et la nécessité de l’ouvrir pour donner une identité internationale au pays, le chauffeur d’Alain a une vision positive de l’avenir, un autre attend le retour de la guerre, un enfant distribue contre quelques billets des verres d’eau magique. On songe au film de Liliane de Kermadec, tourné ici-même en 2013, Le Murmure des ruines, dans lequel un camion de farine arrive dans un village comme un miracle tombé du ciel.
Dans le film, le miracle c’est l’aéroport et tout tourne autour de lui, les acteurs, l’enfant et personne d’autre, juste quelques animaux. Il est à la fois très réaliste, montrant la porosité des frontières, la tension permanente entre les religions différentes, les manifestations de pouvoir des pays expansionnistes, et en même temps totalement décalé, par la présence de cet enfant avec ses bidons d’eau, d’Armen prêt à combattre en costume de soldat et de cet aéroport en attente d’exister.
Le contraste entre les deux mondes, la nature et la construction extravagante, est ressenti comme un choc de civilisation. Le choix de la réalisatrice de ne pas peupler davantage son film est une idée juste, il est le reflet absolu de la situation du Haut-Karabakh, isolé, avec cet aéroport comme unique espérance. Les États voisins n’en veulent pas, ils exigent d’Alain de nier, dans son rapport, toute possibilité d’ouverture. Corruption, subordination, lâcheté.
Il fallait, à cette ignoble victoire du pouvoir, une fin sublime d’invention et d’onirisme. Une scène qui, à elle seule, puisse contenir tous les espoirs : l’enfant, monté sur une machine agricole, roule sur la piste, prêt à s’envoler.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 406-407, printemps 2021
* Cet article a été écrit avant que la république du Haut-Karabakh ne soit effacée de la carte, après la guerre de l’automne 2020. Nous avons tenu à lui conserver son aspect daté et prémonitoire.
Si le vent tombe. Réal, sc : Nora Martirosyan ; sc : Emmanuelle Pagano, Olivier Torres, Guillaume André ; ph : Simon Roca ; mont : Yorgos Lamprinos ; mu : Pierre-Yves Cruaud. Int : Grégoire Colin, David Hakobyan, Arman Navasardyan, Vartan Petrossian, Hayk Bakhryan (France, 2020, 100 mn).