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Tom Foot (1974)
de Bo Widerberg
publié le mercredi 9 juin 2021

par Jean-Pierre Jeancolas
Jeune Cinéma n°87, mai-juin 1975

et

par Gérard Camy
Jeune Cinéma, n°401, été 2020

Sorties le mardi 13 août 1974, et les mercredis 16 juin 1976 et 9 juin 2021


 


Au premier degré, une aimable fantaisie qu’on pourrait prendre pour un film pour enfants (et qui d’ailleurs les intéressera sûrement), tout juste un peu plus sérieux que Hugo et Joséphine (1) : la belle histoire de Johann Bergman, 6 ans, si habile footballeur qu’il devient la vedette du club de foot local, puis de l’équipe nationale de Suède. Ses prestations sur divers stades européens, de Vienne à Moscou. Sa grande sagesse qui le fait abandonner la gloire et les contrats pour aller à l’école, où il apprendra à lire.


 

Traité par Bo Widerberg avec cette élégance et cette tendresse que nous lui connaissons - les séquences où Tom Foot et son copain descendent vers une ferme ou une scierie, en pleine nature, et y découvrent des poussins -, mais aussi avec un humour qui est pour nous assez neuf (on sait que Bo Widerberg a dirigé des comédies, mais elles nous sont inconnues ici).


 


 

Ainsi du personnage du footballeur célèbre qui, à la première séance, affronte le jeune prodige, et qui pendant tout le reste du film, essaiera de comprendre comment il a été lobé par un gamin qui lui arrive à la ceinture. Ainsi des problèmes de toute l’équipe nationale qui doit se relayer pour lire à Tom Foot l’histoire des Quatorze Ours - toujours la même histoire, parce que la Fédération suédoise de football n’a pas de crédit pour acheter un autre livre pour enfants. Sans compter tous les gags qui naissent du rapport enfants/adultes : l’incapacité de Tom à lacer ses chaussures coûte un but décisif à son équipe.


 

Au second degré, précisément, une réflexion plus sérieuse sur les points de contact entre l’univers des enfants et celui des adultes. Le sérieux, la gravité même que met Tom dans tous ses actes - la part de l’acteur enfant est ici sans doute considérable : on se plaît à l’imaginer vivant le film avec la même sérénité que Tom Foot sa carrière sportive -, font parfois basculer le film dans un registre dramatique : quand Tom découvre qu’il ne sait pas écrire, pas même signer un autographe, quand il constate que même un prodige dont l’effigie couvre les murs doit aller à l’école.


 


 

Il y est aidé, il faut dire, par une merveilleuse institutrice qui bascule pour lui dans le non-euclidien : pour ne pas l’humilier, elle admet face à la classe que 2 et 2 peuvent parfois faire 5. La réinsertion de Tom Foot dans le monde des enfants de son âge n’est pas une défaite : l’univers des adultes, surtout celui des sportifs et des publicitaires, n’est pas exaltant.

Jean-Pierre Jeancolas
Jeune Cinéma n°87, mai-juin 1975

1. Hugo et Joséphine (Hugo och Josefin) de Kjell Grede (1967).



"Bo Widerberg était un immense fan de foot, supporter de Malmö, parce qu’il y était né. À chaque fois qu’il partait en tournage en extérieurs, il demandait au directeur de production de trouver dans la population locale de quoi former une équipe de foot qui affronterait l’équipe du film ; et quand tout le monde travaillait à Stockholm, on organisait des tournois entre les équipes des différents films en production. Un jour de 1971, alors qu’il jouait sur un petit terrain avec les techniciens de Joe Hill, (1) arrive ce gamin, Johan Bergman, qui lui prend la balle. Une fois, deux fois, trois fois. Bo est impressionné, trouve ça très humiliant, se demande comment réagirait dans la même situation des footballeurs professionnels. C’est le point de départ de Tom Foot." (2)


 

Johan, 6 ans, passe son temps au bas de son immeuble, à jouer au football pendant des heures avec les copains de la cité. Pour ces derniers, c’est un petit prodige du ballon rond. Un jour, au hasard d’une visite, le joueur vedette de l’équipe de Suède qui joue dans le club de Hammarby IF le repère. Impressionné par ses dribbles étonnants, il le signale au responsable du club qui, d’abord incrédule, prend vite conscience des extraordinaires qualités de Johann, qui se retrouve bientôt dans l’équipe senior, en première division, et quelques jours plus tard, en équipe de Suède, aux côtés de Ronnie Hellström (3) et Ralf Edström (4).


 


 

Il devient l’idole de ses concitoyens. De victoire en victoire, il permet à son équipe de se qualifier pour la Coupe du monde en Allemagne (1974). Pourtant, il est incapable de nouer ses lacets tout seul et ses coéquipiers de l’équipe nationale se relaient le soir pour lui lire une histoire. Un jour, las du succès, Johan abandonne sa carrière de footballeur professionnel. Il veut apprendre à lire et écrire et vivre la vie d’un enfant de son âge.


 


 

Tom Foot est une fable ironique, un conte pour enfants réaliste, qui dénonce, avec un humour froid et efficace, la société des adultes et les mœurs contestables des milieux sportifs. Bo Widerberg assume, avec humour, ce scénario parfaitement invraisemblable dont le très jeune héros pourrait sortir tout droit d’un feelgood-movie hollywoodien si son jeu presqu’abstrait et les péripéties qu’il traverse ne l’entraînaient vers un autre chemin plus ambitieux, celui d’une œuvre personnelle sur l’enfance confrontée au monde des adultes… Un film d’auteur, en quelque sorte.


 

Passionné par son projet, Bo Widerberg se lance dans l’aventure sans réels moyens financiers. Il demande au jeune Johan Bergman de jouer le rôle et à ses parents de jouer… ses parents. L’équipe de Suède donne son accord mais le tournage est très long et lorsqu’il se termine, début 1974, Johan a presque 10 ans - mais, heureusement, n’a pas encore grandi. Les joueurs s’amusent dans des scènes improbables où le gamin dribble et marque sous leurs yeux admiratifs et où ils se précipitent sur lui pour l’enlacer.
En fait, Bo Widerberg place ses caméras aux abords du terrain lors de vrais matches de l’équipe de Suède (5), tourne quelques scènes avant le coup d’envoi et à la mi-temps, sans oublier bien sûr de filmer quelques moments de la partie. Un tel dispositif lui permettait aussi de profiter du public des stades.


 

Le réalisateur demande aux joueurs internationaux d’interrompre quelques instants leur échauffement pour tourner quelques plans avec Johan. C’est à Moscou que ce fut le plus compliqué, car les joueurs soviétiques conduits par Yevhen Rudakov et Oleg Blockhine, (6) avaient quelques réticences à se laisser dribbler par un enfant.
Ralf Edström raconte : "À la mi-temps, on devait filmer le but que Johan marquait pour la Suède, et le gardien soviétique avait dit non, merci, me faire marquer un but par un gamin, pas question. Bo Widerberg avait donc pris un figurant vêtu d’un maillot de l’URSS, et commencé à tourner, une prise après l’autre. Mais la foule, bon enfant, s’était prise au jeu et avait commencé à manifester bruyamment. Au point que le gardien soviétique était revenu sur le terrain pour pousser le figurant et encaisser lui-même le but."


 

Tous les joueurs professionnels du film ont accepté de jouer sans cachet et se sont prêtés au jeu avec enthousiasme, apportant aux séquences de football, efficacement montées par le cinéaste, un réalisme indéniable. Si Tom Foot n’a pas la puissance poétique et évocatrice de ses film précédents, il n’en reste pas moins une sorte d’ovni étonnant, étrange, unique, duquel sourd toujours son humour et ses préoccupations sociales.

Gérard Camy
Jeune Cinéma n° 401, été 2020

1. Joe Hill, a été tourné, en 1970, a été en juin 1970, aux USA, et en Suède, dans le quartier de Gröndal de la banlieue sud de Stockholm. De nombreuses scènes de Tom Foot y ont aussi été tournées.

2. Entretien avec Marten Blomkvist (gendre et biographe de Bo Widerberg) sur Univers ciné.

3. Ronnie Hellström, né en 1949, a été gardien de but de l’équipe de Suède entre 1968 et 1980. Il est considéré comme un des meilleurs d’Europe. Il a participé à trois coupes du monde (1970, 1974, 1978). Il a évolué dans deux clubs : le Hammarby IF (Suède) de 1966 à 1974 et le FC Kaiserslautern (Allemagne) de 1974 à 1984.

4. Ralf Edström, né en 1952, a été attaquant de l’équipe de Suède. Il a participé à deux coupes du monde (1974, 1978) et a évolué dans de nombreux clubs en Suède et à l’étranger (PSV Eindhoven, Standard de Liège, AS Monaco).

5. Contre la Hongrie à Stockholm (le 25 mai 1972) et l’Autriche à Vienne (le 10 juin 1972) en match qualificatif de la Coupe du monde 1974 et contre l’Union soviétique à Moscou (le 5 août 1973) en match amical.

6. Yevhen Rudakov, gardien de but inamovible de l’équipe nationale soviétique entre 1968 et 1976. Oleg Blockhine, attaquant de l’équipe nationale soviétique de 1972 à 1988, Ballon d’or en 1975.

* Tom Foot chez Malavida.


Tom Foot (Fimpen). Réal, sc, mont, prod : Bo Widerberg ; ph : John Olsson. Int : Johan Bergman, Magnus Härenstam, Monica Zetterlund, Carl Billquist. (Suède, 1974, 89 mn).



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