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Ibrahim (2020)
de Samir Guesmi
publié le mercredi 23 juin 2021

par Francis Guermann
Jeune Cinéma n°404-405, hiver 2020

Sortie le mercredi 23 juuin 2021


 


Ibrahim (Abdel Bendaher) est un adolescent peu sûr de lui, qui fréquente un lycée technique parisien, dans une filière pas vraiment enthousiasmante. Il est passionné de foot, s’identifie au joueur Zlatan Ibrahimovic et vit avec son père Ahmed (Samir Guesmi), écailler à la brasserie Royal-Opéra, dont les horaires ne lui permettent pas de suivre son fils comme il le faudrait.


 

Ahmed est un homme digne et taiseux qui place en son fils tous ses espoirs. Illettré, il est incapable de lire son courrier sans l’aide d’Ibrahim. Il est d’ailleurs question d’une facture de plusieurs milliers d’euros d’un laboratoire dentaire, pour un appareil qui permettrait à Ahmed le "sans dent" d’accéder à une meilleure place, au service, dans sa brasserie. Ibrahim voudrait aider son père, il se laisse entraîner par son copain Achille dans un vol à la tire censé lui rapporter de l’argent facile. Mais trop maladroit, il est pris et sa situation empire du fait d’une succession de mauvais choix…


 

C’est un premier film très réussi que le comédien Samir Guesmi nous propose, plein de petits détails qui sonnent juste. Un film atmosphérique où tout s’accorde, le jeu retenu des acteurs (mélange de comédiens professionnels et non-professionnels), une caméra leste, une cohérence dans les choix et le filmage des lieux parisiens où s’inscrivent les personnages, une légèreté dans les scènes presque muettes, un montage sobre et sans lourdeur. Bref tout ce qu’il faut, et rien de trop, pour une chronique familiale dont la profondeur se découvre progressivement avec les failles des personnages, leur tendresse et leur humanité. On pense au Voleur de bicyclette, dans le rapport entre un père et son fils confrontés à de grandes difficultés et, plus près de nous, bien sûr, à l’univers de Solveig Anspach, avec laquelle Samir Guesmi a collaboré plusieurs fois, notamment dans L’Effet aquatique, ultime film avant sa disparition en 2015 - Ibrahim lui est dédié, ainsi qu’au père du réalisateur. (1)


 

Certains comédiens familiers de la cinéaste figurent dans ce film, utilisés en contrepoint de leurs univers habituels : Florence Loiret-Caille en dure gérante de magasin et Philippe Rebbot en noceur cynique, amateur de jeunes garçons en rupture sociale. La direction d’acteur doit peut-être à celle de Solveig Anspach dans sa légèreté, son aspect contemplatif. De même l’attachement aux objets et aux petits gestes qui disent autant qu’un dialogue et emplissent les ellipses.


 

Ce portrait d’un couple père-fils (dont l’absence de la mère est implicite, on l’apprendra à la fin) est d’une grande délicatesse. Dans le rôle principal, le jeune Abdel Bendaher est parfait et la réponse de Samir Guesmi, face à lui, est toute en nuances. Les autres jeunes acteurs sont aussi remarquables : dans le rôle de Louisa, l’amie d’Ibrahim, la lumineuse Luàna Bajrami et Rabah Naït Oufella dans le rôle d’Achille, le copain en rupture qui entraîne Ibrahim tout en faisant preuve de respect à son égard. À noter, dans un tout petit rôle à la fin du film, Rufus, en client de la brasserie, qui, en deux petits gestes, fait sortir Ibrahim de sa carapace d’adolescent (matérialisée par sa chapka et le blouson qu’il ne quitte jamais).

Francis Guermann
Jeune Cinéma n°404-405, hiver 2020

1. Le Voleur de bicyclette (Ladri di biciclette) de Vittorio De Sica date de 1948.
L’Effet aquatique avec Samir Guesmi, Florence Loiret-Caille, Philippe Rebbot, sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2016, récompensé par le César 2017 du meilleur scénario, est sorti après la mort de Sólveig Anspach (1960-2015).


Ibrahim. Réal, sc : Samir Guesmi ; ph : Céline Bozon ; mont : Pauline Dairou. Int : Samir Guesmi, Abdel Bendaher, Rabah Naït Oufella, Luàna Bajrami, Philippe Rebbot (France, 2020, 79 mn).



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