Manoel de Oliveira : du regard au style
par Henry Welsh
Jeune Cinéma n°126, avril-mai 1980
Voir aussi la conférence de presse, Berlin 1980.
Manoel de Oliveira commença son œuvre à 23 ans et Douro, faina fluvial (1931), son premier film est déjà une œuvre de maturité.
C’est l’évidence d’une esthétique cinématographique, et en même temps un engagement du réalisateur dans une voie qui restera la sienne pendant quelques 30 années.
Cette voie, Oliveira la construira de manière personnelle, de manière concrète sans aucune référence externe à son propos, on pourrait dire à sa ville même, tant est grand l’attachement de ce cinéaste à Porto.Il est rare de constater à quel point une cité a pu être le lieu, l’enracinement d’un auteur et de ses projets.
Avant tout Manoel de Oliveira filme la réalité topographique d’un espace modifié à chaque instant par l’activité humaine.
Porto est une grande et belle ville : par la présence de ce fleuve incomparable, le Douro, encaissé entre deux rives abruptes, mais aussi parce qu’elle est le siège d’une extraordinaire activité industrielle. Le port et le trafic des docks, dans Douro, faina fluvial sont des motifs filmés de façon très mobile par une caméra toujours active et prête à enregistrer en un clin d’objectif le moindre geste fut-il espiègle, comme le pincement d’un mollet de femme par un docker. Le rapprochement avec À propos de Nice de Jean Vigo semble évident, à part le fait que Manoel de Oliveira propose un montage plus rapide, plus saccadé aussi.
En outre, il transparaît, dans Douro, une sorte de foi dans le progrès comme libération de l’homme par la machine.
En même temps que cette foi qu’il assume, Oliveira dégage une certaine esthétique à partir des mouvements des machines, des allées et venues des locomotives, des charpentes métalliques à l’assaut du ciel - le célèbre pont Louis II de Porto - trait d’union entre les deux rives : toute cette transformation du travail humain, cette multiplication de la force, cette diversification des maîtrises, offrent le spectacle d’une beauté où ordre et raison n’excluent ni le sentiment ni la sensibilité.
Ce sentiment est si profond chez Oliveira que 25 ans plus tard, il tournera un film exclusivement consacré à la beauté de Porto.
Le peintre et la ville (1956)
Le film est une promenade en compagnie du peintre Antonio Cruz dans les dédales en pente de Porto.
L’alternance, excessivement précise dans son montage et sa superposition, entre les prises de vue de la ville et les représentations picturales semble dissoudre la limite toujours floue entre art et réalité. Le cinéaste ne propose pas un regard froid sur le peintre et son activité, il arrive, au contraire, à faire partager une certaine émotion devant le paysage de cette ville, où cathédrales de pierre et architectures de métal se côtoient, où la vapeur des locomotives se noie dans la brume du grand fleuve porteur de chaloupes et de voiliers.
Même si un attroupement de curieux autour du peintre est dispersé par des policiers trop sourcilleux, on se plaît à accompagner, grâce à la caméra d’Oliveira, le périple du peintre.
Le thème de la représentation picturale est cher à Oliveira puisqu’il réalise à nouveau, en 1958, Peinture de mon frère Julio, qui retrace à travers des souvenirs de son frère, le portrait du peintre Julio Regio.
C’est peut-être dans ce balancement entre reportage documentaire et stylisation que se place l’œuvre de Manoel de Oliveira. Tous ses courts métrages proposent un regard très personnel sur la réalité, sans exclure pour autant un souci esthétique. Et de ce point de vue, il semble que le film le plus dense, le plus achevé soit Le Pain.
Le Pain (1959)
C’est paradoxalement la seule œuvre de commande de Oliveira.
À l’origine, la Fédération nationale de l’Industrie de la minoterie) (FNIM) lui demande un film sur les nouvelles méthodes de mouture du blé.
Oliveira accepte en exigeant une totale liberté dans le traitement du thème. Seule concession, il filmera une réunion des représentants de la FNIM et analysera le bien fondé de l’utilisation des minoteries industrielles.
Son souci est ailleurs. Le pain, dans la civilisation occidentale chrétienne, est un symbole. Le film s’ouvre sur une légende : "Le pain de chaque jour oblige à un effort constant dont l’homme sort annobli".
Oliveira réussit, en 25 mn, à développer de manière étonnante une succession d’images dont la résonnance philosophique, religieuse, politique est servie par une rigueur et une maitrise cinématographique rarement atteinte.
Si la Cène du Christ devient le centre du film, jamais la parole évangélique : "Ceci est mon corps" n’a plus de sens que par la construction et la clarté de ce film.
Non pas un sens religieux ou mystique, mais le sens que donne aux choses et aux mots un profond enracinement dans les actes humains concrets auxquels il renvoie.
Loin d’opposer frontalement la fabrication industrielle du pain à l’artisanat du meunier à son moulin à vent, de la paysanne à son pétrin, Oliveira fait apparaître de façon dialectique le lien qui unit les deux processus de production. Sans discourir, il analyse à l’aide d’images explicites en elles-mêmes et par leur association, le passage d’un mode de production à l’autre. La démonstration vient de la qualité des images et de leurs enchaînements. Enchaînement dont la logique ressort plus d’associations formelles que d’une ligne, d’un plan.
En cela, il semble que, même si leur engagement est différent, Oliveira s’apparente à Johann Van der Keuken. Tous deux, dans leur approche du documentaire ont un langage qui s’efface d’une part devant la maîtrise des moyens du cinéma, et d’autre part derrière la qualité la plus rare et la plus nécessaire pour un cinéaste documentariste : celle d’être en symbiose presque totale avec son lieu de tournage et les gens qui y vivent.
De cela on ne peut douter quant à Oliveira : son pays, sa ville sont les sources mêmes de son inspiration en même temps qu’à leur endroit, il nourrit une amour que rien ne laisse entamer.
Acte du printemps (1963)
Du même amour, de la même exigence, est animé Acte du printemps (1)
Tourné en 1963 à partir d’une expérience vécue par Manoel de Oliveira en 1958-1959, ce reportage nous fait assister au mystère de la Passion du Christ tel que le jouent chaque année les habitants du village de Curalha.
Document unique sur la puissance d’évocation d’un milieu, sur la limite mouvante entre spectateurs et acteurs, le reportage englobe magistralement les actants d’un drame baroque, où la naïveté et la démesure ne tournent jamais au ridicule.
Filmé comme reportage - on assiste à l’interview des futurs acteurs, on voit dans le champ le micro ou la seconde caméra - cet Acte du printemps nous entraîne peu à peu au cœur même de cet épisode du Nouveau Testament, qui devient, en même temps, un moment exceptionnel, fondamental dans la vie du village.
Sorte de communion mystique aux sources de la représentation populaire, le film est ponctué par le descente aux enfers qu’Oliveira nous représente de façon hallucinatoire sous la forme d’explosions atomiques, d’images de la guerre du Vietnam et de cadavres d’enfants.
C’est la seule touche très en contrepoint que l’auteur introduit dans ce film.
Comme si, au dernier moment, Oliveira voulait en forcer le sens, se le réapproprier en nous envoyant des messages dont le but est de réactualiser cette Passion, de la réintroduire avec plus de force et plus d’évidence dans le monde contemporain.
Ce qui fait que ce film demeure plus qu’un documentaire, mais une véritable expérience sur la croyance profonde de ces paysans du Portugal. Croyance qui nous renvoie à nos propres images de terreur et d’inconnu.
Aniki Bobo (1942)
Sa première œuvre de fiction, Manoel de Oliveira la réalise en 1942, c’est Aniki Bobo.
En réalité, ce film est encore plongé dans l’atmosphère de Porto. Il dépeint les enfants de cette ville avec drame de la jalousie et amours enfantine.
Carlitos, pour conquérir l’amour de Teresinha, contre son rival Eduardo, décide de voler une poupée chez un marchand du coin - à la boutique des tentations.
Au sein de la petite bande de gosses du quartier, Eduardo fait figure de petit chef et personne ne discute ses ordres. Il est vrai que c’est lui qui plonge le mieux et de plus haut. Carlitos arrive à dérober la poupée au boutiquier, présenté comme bourru et mauvais coucheur, et va l’offrir en pleine nuit, passant d’un toit à l’autre, à Teresinha. `
À la suite d’une partie de "gendarmes et voleurs" où le sort l’a désigné comme voleur, Carlitos est pris de remords : ceci est signifié par une étonnante suite de surimpressions d’une esthétique vieillotte.
Le jour suivant la joyeuse bande fait l’école buissonnière pour faire voler un cerf-volant. Après une bagarre avec Carlitos, Eduardo fait une chute et manque de se faire écraser par un train. Tout le monde pense que c’est Carlitos qui a poussé son camarade et refuse de lui parler. La fin un peu moralisante voit Carlitos disculpé rendre la poupée volée, que le boutiquier offre à Teresinha.
Même si c’est une description naïve du milieu des petits écoliers pauvres de Porto, Aniki Bobo marque un jalon dans l’œuvre de Oliveira.
Si on retrouve l’amour du cinéaste pour sa ville et pour une certaine classe de ses habitants, on note déjà un aspect critique qui, à la lumière du film suivant, prendra une autre dimension.
Oliveira ne se moque concrètement que d’un seul enfant : le fils de riche, qui naturellement réussit mieux à l’école, est mieux habillé quoique de façon ridicule, etc.
Toutefois, de manière plus allusive, Oliveira semble voir dans les rapports affectifs entre les mômes le germe du drame de la communication.
Et c’est manifestement ce thème, à peine effleuré dans Aniki Bobo, qui marquera l’ensemble de l’œuvre de Manoel de Oliveira.
La Chasse (1963)
L’absence de communication, aucun film ne pourra en rendre compte aussi bien que La Chasse.
Plus encore, ce film nous conte une fable sur l’esprit de solidarité, ou ce qu’il en reste dans une communauté paysanne.
Cette fable montre deux garçons errant dans le village, n’ayant rien à faire d’autre que de taquiner les vieux et d’inventer des blagues. Leur rêve secret serait de participer à une chasse avec les adultes. Un des deux tombe dans le marais et s’enlise sous les yeux de son ami impuissant à le sortir de là. Ce dernier court au village chercher de l’aide.
Sur le marais une chaîne humaine s’organise. Soudain la chaîne se rompt, laissant dans le marais celui qui était en bout de chaîne. Celui-ci, un manchot agite son moignon désespérément pour qu’on lui vienne en aide. Les autres interrompent alors le sauvetage pour discuter sur la responsabilité de celui qui a lâché prise. Discours insupportable et qui renvoie de façon obsédante à nos propres manquements : combien de discours masquent notre absence d’action, et face à un geste pour sauver ceux qui peuvent l’être, combien de paroles inutiles !
Oliveira atteint ici une force de critique exceptionnelle. À l’aide d’une histoire simple et d’un style néo-réaliste, il donne à cette fable une acuité et une précision dans l’analyse d’un comportement humain qui donne de sérieux motifs de réflexion.
Une trilogie
Cette puissance critique, Oliveira la développera, acerbe dans ses trois films suivants qui constituent une sorte de trilogie sur les rapports humains affectifs.
Il existe en effet, à en croire Oliveira, une filiation naturelle entre Le Passé et le présent (1971), Benilde vierge ou mère (1974), dont l’idée avait germé pendant le tournage du film précédent, et Amour de perdition (1976), qui a été pensé pendant le tournage de Benilde.
Ces trois films décrivent trois amours impossibles. Ils ont en commun d’être tous les trois une adaptation de romans portugais.
Le Passé et le présent est réalisé d’après Vicente Sanchez,
Benilde est réalisé d’après Jose Regio (qui avait écrit les vers et le commentaire du film Peinture de mon frère Julio en 1965, et ami du cinéaste). L’histoire de Benilde trouve son origine dans les années 30 pour devenir une pièce de théâtre en 1947.
Et Amour de perdition est réalisé d’après Camilo Castelo Branco.
Le lien très fort qui unit les films aux romans qui les ont inspirés, a gommé totalement l’aspect documentaire des films précédents.
De tout l’anecdotique, Oliveira n’a retenu que le style, l’esprit, voire la portée universelle et critique de chaque œuvre.
Sans pratiquement aucune séquence d’extérieur, Oliveira s’attachera surtout, dans ses films, à faire le portrait de personnages caractéristiques.
Sa caméra épingle véritablement, comme pourrait le faire un entomologiste, chaque personnage jusqu’à nous le présenter comme écorché, dans tous les sens du terme.
Un dialogue hyper stylisé s’ajoute au travail de mise à nu des conditions de vie des hommes et femmes présents à l’écran.
Le Passé et le présent (1971)
Le Passé et le présent est une comédie grinçante, met en jeu l’hypocrisie des rapports conjugaux dans le milieu de la haine bourgeoisie portugaise.
Rythmée par l’air de la marche nuptiale de Berlioz, l’intrigue se développe autour de Wanda, dont les états amoureux défraient la chronique mondaine. Le ridicule et la mesquinerie de cette grande bourgeoisie se manifestent pendant la longue agonie de son second mari. Le petit monde qui l’entoure fait preuve alors d’une odieuse componction qui masque à peine la nature véritable des sentiments de haine et de jalousie qui l’abiment. De cette mascarade, personne ne sort innocent, et Wanda reprend sa comédie, une fois le situation redevenue "normale", c’est-à-dire quand elle se retrouve mariée.
C’est le procès de cette normalité qui est instruit par ce film. Sans qu’il y paraisse Oliveira arrive à porter une formidable attaque contre la famille bourgeoise, dont la mariage religieux ne peut empêcher la désagrégation et le pourrissement.
Benilde vierge ou mère (1974)
La sanctification de la famille est le point de départ de Benilde vierge ou mère.
À partir d’une intrigue complexe, Oliveira porte son interrogation sur le mystère le plus profond de la religion catholique : celui de l’Immaculée Conception. Interrogation osée dans le pays de Fatima.
Benilde est une jeune fille pétrie de bonne religion, élevée à l’écart du monde et qui se retrouve enceinte, sans, prétend-elle, avoir jamais connu d’homme.
Cette conception est d’essence divine. Manoel de Oliveira s’ingénie à nous fournir des fausses pistes, suggérant, par exemple, que dans ses accès de somnambulisme, elle ait pu se laisser abuser par l’idiot du village. La tante de Benilde qui espérait marier sa nièce et son fils Eduardo, répand une telle hypothèse. Quant à lui, Eduardo est prêt, par amour pour Benilde, à s’accuser d’un grand tort pour épouser sa cousine.
Dans cette atmosphère étouffée, dans ce monde replié sur lui-même à l’extrême, la logique des comportement sociaux poussée jusqu’au bout devient le ferment destructeur principal. Sorte de démonstration par l’absurde, ce film démontre combien est impossible une vie basée sur les principes de la morale bourgeoise.
Un seul plan - répété deux fois - de l’extérieur de la maison, vient apporter une ouverture aux deux pièces qui sont le cadre de ce drame. Encore ces plans sont-ils d’une durée extrêmement courte, à tel pont qu’on se demande si on a vraiment perçu ce qui se trouve de l’autre côté de la fenêtre, si on a bien aperçu le portail du jardin. Procédé d’une grande efficacité et qui marque bien la clôture de l’espace dans lequel se déroule l’action. Deux plans d’une fraction de seconde sur une durée de film de deux heures pour que l’extérieur existe. Alors que Benilde - épouse divine - ne pense déjà plus qu’à l’au-delà. L’irruption du monde extérieur se fera en une scène comme une tempête de vent qui renverse meubles et fleurs, dérangeant l’ordre tranquille des intérieurs bourgeois.
À certains moments, Benilde retrouve les accents de la jeune paysanne qui interprète la Vierge Marie dans Acte de printemps.
Mais alors que dans un cas, la théâtralisation faisait partie d’une expression de foi populaire, il s’agit, avec Benilde vierge ou mère, de démasquer le caractère aliénant d’une religion qui assume exclusivement la fonction morale répressive. Justement, faute de catharsis comme dans Acte de printemps, cette fonction devient mortelle pour Benilde qui en assume les conséquences.
Peu importe de savoir par quel hasard ou quel miracle Benilde est enceinte. Elle pense que c’est un signe de Dieu et en même temps, elle vit concrètement dans sa chair cette prédestination. Benilde ne joue pas le rôle de la vierge Marie, elle est Marie. Cette situation la mène à la mort. Curieusement cette théâtralisation qui n’est pas vécue comme telle, Manoel de Oliveira nous en donne la clé dès les premières images du film, par lesquelles il nous montre une arrière-scène de théâtre avec ses cintres et sa machinerie. Sorte de prologue/ avertissement pour indiquer l’aspect factice de ce drame de la bourgeoisie auquel il nous convie.
Amour de perdition (1976)
Cette théâtralisation va s’accentuer de manières démesurée dans Amour de perdition, sans doute par sa durée (4 heures) et sa stylisation extrême, le film le plus construit mais aussi le plus difficile de Oliveira.
Tiré d’un roman du 19e siècle, il retrace l’histoire d’un amour impossible entre deux enfants de familles ennemies du 18e siècle. Amour impossible à cause de la différence de condition sociale et des prétentions de chaque père en ce qui concerne l’avenir du fils ou de la fille.
Exclusivement tourné en intérieur, avec des décors qui ne cherchent pas le naturel, ce film atteint un style absolument épuré. Les décors sont tellement dépouillés qu’ils en deviennent abstraits, comme la représentation de la cour du maréchal-ferrant, ou la cellule de prison dans laquelle on a jeté Simon après le meurtre de son rival. Ce meurtre le conduira au bannissement pour les Indes. Pendant ce voyage, et après la mort de sa bienaimée, il mourra aussi, et sa servante, amoureuse de lui, accompagnera son cadavre dans l’océan. Véritable roman d’amour, ce film articule passion et destin.
Construit en une succession de tableaux - mais qui s’enchaînent selon une trame simple - le film prend des allures de grande fresque épique. Non seulement parce que les dialogues sont parfois d’une grande solennité, voire grandiloquence, mais aussi parce que chaque personnage est ici un symbole.
Le port de Porto d’où partent les bagnards est représenté par une feuille de décor qui indique plus qu’elle ne donne à voir. C’est l’antithèse de Douro, faina fluvial où les détails étaient multipliés pour redonner à l’endroit toute sa dimension réelle. Ici, une imagerie qui sert d’enluminure.
Le dernier adieu de Teresa à Simon trompe toutes les lois de la vraisemblance. Enfermée dans un couvent éloigné de la ville, on la découvre à portée de voix au moment du départ. Comme si, dans un raccourci hallucinant, la mort rapprochait les deux êtres - comme lorsque, sur le bateau, Simon parle avec le fantôme de Teresa.
La maitrise de l’art cinématographique jointe à une simplicité de moyens, qui est en réalité le fruit d’un travail gigantesque, fait penser à Perceval le Gallois de Rohmer. Dans les deux cas, les auteurs se sont attachés à recréer un esprit plutôt qu’à traduire précisément la réalité d’un moment.
Ce faisant, ils ont accepté de faire apparaître l’artifice de la mise en scène. C’est un pari difficile et une réussite au delà de ce que l’on peut espérer.
Oliveira montre ici la capacité de son talent d’auteur.
Cinéaste hors pair pour redonner à la réalité toute sa richesse et sa variété, il parvient, dans un genre tout aussi difficile à nous surprendre par la qualité formelle de sa mise en scène.
Le degré d’abstraction d’Amour de perdition semble en totale opposition avec les documentaires précédents.
Cette contradiction est le fruit d’une classification peut-être trop rigide.
Il y a, dans certains récits médiévaux, cette sorte de condensation, déplacement de la réalité sur un registre plus symbolique, plus abstrait.
Mais cette transformation se nourrit des moindres éléments, des moindres détails de la vie quotidienne, même si, dans son élaboration finale, elle produit une œuvre plus froide, plus désincarnée.
Qu’il parle du pain - aliment ou sacrement -, de l’amour profane ou religieux, de passion - celle du Christ ou celle des hommes -, Oliveira donne, par l’ensemble de son œuvre, une multitude d’images que nous aimons.
Ce sont elles qui déroulent sous nos yeux l’immense valeur de la vie.
Henry Welsh
Jeune Cinéma n°126, avril-mai 1980
1. Seul film à avoir eu une véritable distribution commerciale en France à l’époque. AKA : Le Mystère du pritemps.
Documentaires :
Douro, faina fluvial. Réal : Manoel de Oliveira ; documentaire (Portugal, 1931, 18 mn).
Le Peintre et la ville (O Pintor e a Cidade). Réal : Manoel de Oliveira ; mu : Luis Rodrigues ; documentaire avec Antonio Cruz (Portugal, 1956, 26 mn).
Le Pain (O Pão). Réal : Manoel de Oliveira ; documentaire (Portugal, 1959, 51 mn).
Le Mystère du printemps (Acto da primavera). Réal : Manoel de Oliveira ; sc : d’après le roman de Francisco Vaz De Guimarães. Int : Ncolau Nunes Da silva, Ermelinda Pires, Maria Maddalena, Joaão Miranda. "docu-fiction" (Portugal, 1963, 94 mn).
Fictions :
Aniki Bóbó. Réal : Manoel de Oliveira ; d’après le roman de João Rodrigues de Freitas, Meninos Milinaros ; chants : Alberto Serpa. Int : Horacio Silva, Antonio Santos, Americo Botelho, Feliciano David, Nascimento Fernendes, Fernanda Matos, Rafael Mota, Antonio Palma (Portugal, 1942, 71 mn).
La Chasse (A Caça). Réal : Manoel de Oliveira : mu : Joly Braga Santos. Int : Antonio Rodrigues Sousa, João Rocha Almeida, Albino Freitas, Manuel De Sa (Portugal, 1963, 21 mn).
Le Passé et le présent (O Passado e o presente). Réal : Manoel de Oliveira ; sc & dial : Vicente Sanches ; ph : Acacio de Almeida. Int : Maria de Saisset, Manuela de Freitas, Barbara Vieira, Alberto Inacio, Pedro Pinheiro (Portugal, 1971, 115 mn).
Benilde vierge ou mère (Benilde ou a Virgem Mãe). Réal : Manoel de Oliveira ; sc : José Regio ; ph : Elso Roque ; mu : João Paez. Int : Maria Amelia Matta, Jorge Rolla, Varela Silva, Gloria de Matos, Maria Barroso (Portugal, 1974, 112 mn).
Amour de perdition (Amor de Perdição : Memórias de uma Família). Réal : Manoel de Oliveira ; mu : João Paes ; ph : Manoel Costa e Silva ; cost : Antonio Casimiro et Jasmin de Matos. Int : Antonio Sequeira Lopes, Cristina Hauser, Elsa Wallencamp, Antonio Costa, Henrique Viana, João César Monteiro. TV mini-série (Portugal, 1976, 260 mn).