par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sélection officielle Un certain regard au Festival de Cannes 2021
Sortie le mercredi 21 juillet 2021
Pour Onoda, à la fois film d’ouverture du Festival de Cannes 2021 et sélection officielle de la section Un Certain Regard, celle des œuvres novatrices ou prometteuses, Arthur Harari s’est inspiré d’une histoire vraie, très médiatisée à l’époque. Dès la première image, on jubile du moment de grand cinéma épique et grave qui s’annonce.
Fin 1944, la défaite est proche, un gradé japonais impassible confie une mission secrète au jeune Onoda (1), avec l’ordre de survivre, mise au point utile parmi des soldats dévoués à leur patrie jusqu’à la mort.
Il s’agit de maintenir un certain harcèlement militaire sur l’île philippine de Lubang avec quelques soldats programmés pour obéir. Ils ne désarmeront pas après le débarquement des Américains et la capitulation de leur empereur Hirohito.
Un commando discipliné de 4 soldats déterminés, recrutés parmi les restes des divisions japonaises en déroute, va poursuivre ses opérations de guérilla.
La jungle, hostile, même si elle ne paraît pas très profonde, la boue où on patauge, les corps, la crasse, la fatigue, la faim, le silence, la solitude : même quand ils ne restent que deux, la hiérarchie entre eux et la discipline subsistent, dépouillées et évidentes.
Et ils continuant, épisodiquement, à infliger des attaques meurtrières à des villageois sans défense, au nom de l’Empire. Les années, les époques passent, encore et encore : pas de contre-ordre, il faut tenir, on viendra les chercher quand la mission s’interrompra.
Un jour, dans les années 70, alors que tous ses compagnons sont morts, Onoda entend une musique familière. Un jeune routard a pris le risque de partir à sa poursuite car, au Japon, on le cherche encore. Onoda se méfie, ça pourrait être un piège, il n’obéira qu’à un ordre du major Taniguchi, son supérieur. C’est une chance qu’il vive encore et accepte ce rôle sans s’interroger à son tour sur son mandat. L’émissaire-relais refait le voyage, Onoda, gracié par le gouvernement philippin pour ses dizaines d’homicides, d’incendies, de destruction, rallie sa mère-patrie en 1974, sobre, fier, martial, il y est accueilli en héros. Il écrit alors ses mémoires (1), puis s’exile une dizaine d’années au Brésil, - peut être pour retrouver un peu de jungle ? Dans sa vieillesse, il revienda propager le respect de l’Armée colonialiste de sa jeunesse, et moura à 91 ans, jamais démodé au Japon, ni mis en cause pour ces meurtres de civils, dérogeant aux usages militaires.
Prétendre montrer le Japon et capter l’authenticité des acteurs, de la part d’un Français ne parlant pas le japonais, était-ce bien raisonnable même en recrutant des comédiens ultra-nippons ? Voir un acteur, se lancer, pour son deuxième long métrage, dans un pareil projet - près de trois heures - semblait en effet une gageure, d’autant que son premier film, Diamant noir (2016), était réussi mais dans un genre très habituel. La réussite du film est donc un excellente surprise.
C’est que le mode opératoire du cinéaste est très communicatif, on survit avec ces soldats ravageurs, sans pourtant partager l’anxiété des victimes. À l’exception des attaques du début et des escarmouches du milieu, la guerre n’est jamais là, sinon comme une idée, un impératif catégorique qui contraint à respecter des règles et un code.
L’aventure n’est jamais ennuyeuse, irriguée par la restitution des gestes exacts et la précision des pratiques (la construction de la hutte sous la pluie), et le peu d’événements qui surviennent (les pêcheurs, la fille capturée) nourrissent largement l’argument.
Avec, peut-être son petit quart d’heure de trop - c’est un défaut courant, - Onoma est un film infiniment captivant.
Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Hirō Onoda (1922-2014) a publié son histoire dès son retour au Japon, en 1974, à 52 ans : Waga Rubantō no 30-nen sensō (Ma guerre de 30 ans sur l’île de Lubang / No surrender : my thirty-year war). L’ouvrage a été traduit en français : Hirō Onoda, Au nom du Japon, traduction de Sébastien Raizer, Paris, Manufacture de livres, 2020.
Le film Onoda de Arthur Harari s’est inspiré de l’ouvrage français, lui-même tiré de de la biographie de 1974 : Bernard Cendron & Gérard Chenu, Onoda. Seul en guerre dans la jungle, 1944-1974, Paris, Arthaud, 2020.
Onoda (Onoda, 10 000 nuits dans la jungle). Réal : Arthur Harari ; sc : A.H. & Vincent Poymiro ; ph : Tom Harari ; mont : Laurent Sénéchal ; mu : Sebastiano De Gennaro, Enrico Gabrielli, Olivier Marguerit, Andrea Poggio et Gak Sato ; cost : Catherine Marchand & Patricia Saive. Int : Yûya Endô, Kanji Tsuda, Yûya Matsuura, Tetsuya Chiba, Kai Inowaki, Issei Ogata, Taiga Nakano, Nobuhiro Suwa (France-Japon-Allemagne-Belgique-Italie-Cambodge, 2021, 165 mn).