par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°408-409, été 2021
Sortie le mercredi 18 août 2021
Les parents de Louloute (Alice Henri) sont couverts de dettes, ils ne parviennent plus à vendre leur lait à un prix suffisant pour en vivre. La vente de la ferme est inévitable, l’occasion pour Louise (Erika Sainte) de retourner mentalement au pays d’Auge et de replonger dans son enfance dans la peau de Louloute. Après Artémis cœur d’artichaut et Les Filles au Moyen Âge (1), Louloute le troisième long métrage de Hubert Viel, se développe avec la même fascinante liberté. Liberté de jongler avec le temps, les mythes et l’histoire du cinéma. Liberté de genre, de ton, d’écriture et de technique. Il travaille aussi bien le 8mm que le 16mm, profitant du grain de la pellicule et de la sensation de vibration de l’image, cherche les couleurs et la tonalité exactes des années 80, se nourrit de contes, de mythologies, de tragédies. Il ne s’embarrasse d’aucun obstacle, bouscule l’ordre chronologique, confronte le passé et le présent, chahute les règles scénaristiques et déroule une narration explosée dont le fil conducteur est entre les mains de cette Louloute devenue Louise qui se souvient de son enfance à la ferme et y replonge en pensée, avec délectation.
Hubert Viel ouvre le film avec elle, enseignante de lycée, qui retrouve son ami de l’école primaire et le termine en empruntant une scène capitale de l’enfance de Louloute située au milieu du film, pour la prolonger d’un moment de bonheur absolu.
Malgré le manque d’argent, l’atmosphère de la maisonnée est vivante et joyeuse. Il y règne une grâce certaine à se laisser vivre parmi la nature et les animaux et le caractère insouciant de la mère (Laure Calamy) apporte beaucoup de gaieté, face au père (Bruno Clairefond) qui déborde d’inquiétude. Le va-et-vient constant entre l’enfance et l’âge adulte de Louloute dessine une vision kaléidoscopique du monde, où joies et peurs s’entrecroisent, se heurtent et se confrontent à d’autres visions, oniriques ou angoissantes.
La mort rôde, imaginaire ou réelle, dans cette comédie noircie par le drame, désorientant le spectateur aussi bien par les sursauts narratifs que par les sursauts temporels, aussi bien par l’émotion vive de Louloute que par sa capacité à rêver.
Hubert Viel trouve dans l’enfance de la fillette - être double, agitée, sensible, émue et anxieuse devant l’existence, capable d’imager la mort de son père aussi affreusement réaliste, comme de se laisser aller au plaisir de rejoindre la chaleur du lit parental - ce qui constituera l’adulte.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°408-409, été 2021
1. Les Filles au Moyen Âge de de Hubert Viel (2015).
Louloute. Réal, sc : Hubert Viel ; ph : Alice Desplats ; mont : Fabrice du Peloux ; mu : Frédéric Alvarez. Int : Alice Henri, Erika Sainte, Laure Calamy, Bruno Clairefond (France, 2020, 87 mn).