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Genou d’Ahed (le) (2021)
de Nadav Lapid
publié le mercredi 15 septembre 2021

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 410-411, septembre 2021

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2021

Sortie le mercredi 15 septembre 2021


 


Depuis 2011 et son premier long métrage Le Policier, le réalisateur israélien Nadav Lapid enchaîne les sélections officielles dans les festivals et les prix. Prix du jury à Locarno pour Le Policier, Ours d’or à Berlin en 2019 pour Synonymes et cette année Prix du jury à Cannes pour Le Genou d’Ahed. Un réalisateur singulier porteur d’un sujet qui stimule son écriture scénaristique : le rejet d’Israël.
Tourné dans la vallée du Néguev au désert de la Arava, lieu sauvage et désertique, fait de roches, de rocailles et de sable, le film suit les pas du réalisateur Y (Avshalom Pollak) alors qu’il présente son film L’Institutrice, à la demande de la directrice adjointe des bibliothèques d’Israël, dans celle de Sapir, un village reculé du désert. Y profite de cette occasion pour se lancer dans une diatribe contre son pays.
À la complexité d’un tel sujet pour un ressortissant israélien, s’ajoute la recherche esthétique, d’une rare qualité, presque insolente, tant elle est radicale, parfois fastidieuse autant que fascinante. Le Genou d’Ahed est une épreuve cinématographique, un manifeste criant, éructant le verbe, tour à tour poignant et féroce contre l’État d’Israël.


 

Pourquoi Le Genou d’Ahed  ? En mémoire d’un événement historique qui eut lieu en 2018, dans un village de Cisjordanie sous occupation israélienne. Ahed, une adolescente de 16 ans, gifle un soldat qui avait pénétré chez elle. Elle fut arrêtée et emprisonnée pendant neuf mois, tandis qu’un député israélien Bezalel Smotrich, président du Parti sioniste religieux, appellait sur twitter à lui tirer dans le genou, afin de la rendre définitivement handicapée.


 

L’idée du film est partie de cet événement que Nadav Lapid a prolongé par l’évocation de la censure et de l’autoritarisme en matière artistique par Israël. Il y a dans le discours de Y, dans la violence des mots prononcés et leur jaillissement, un cri, une colère égale à celle de Vladimir Maïakovski dans sa dernière élégie, "Je sais la force des mots je sais le tocsin des mots". Il y a aussi, de la même façon, inhérents à ce cri, une lamentation, un regret, une grande douleur de n’être pas pleinement heureux sur la terre d’Israël.


 

Le gros plan large cadré sur le visage de Y couché sur le sable, est le geste d’amour et de désamour envers sa terre, matricielle et salvatrice, qui est au-delà de tout, la terre implorée, celle que l’on supplie de demeurer. Ce plan fixe est d’une grande beauté, par l’incongruité de son cadre, sa volonté d’immobilité et par la place qu’il occupe dans le film. Il rappelle d’autres plans d’autres visages dans l’œuvre du vidéaste américain Bill Viola, ou encore celle du sculpteur et vidéaste également américain, Bruce Nauman.


 

Le film est une œuvre à la lisière de la performance artistique voire même de la poésie sonore. Y foule le sable à la manière de l’artiste Daniel Pommereulle dans son film Vite (1969), danse sur le sable comme le sculpteur anglais Richard Long filmé par Philip Haas en 1988, et crie comme a pu crier en 1972 Jochen Gerz dans Crier jusqu’à l’épuisement.
Le Genou d’Ahed est autant un film sur la rage et la liberté de penser et de vivre que sur le désir que sa mère, avant de mourir, jette un dernier regard sur la terre d’Israël.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 410-411, septembre 2021


Le Genou d’Ahed (Ha’berech). Réal, sc : Nadav Lapid ; ph : Shai Goldman ; mont : Nili Feller. Int : Avshalom Pollak, Nur Fibak (Israël-France 2021, 109 mn).



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