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Benedetta (2020)
de Paul Verhoeven
publié le mercredi 7 juillet 2021

par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2021

Sortie le mercredi 7 juillet 2021


 


Inspiré d’un ouvrage relatant l’histoire de Benedetta Carlini, une nonne du 17e siècle admise dès l’enfance dans une abbaye toscane, le scénario du dernier film de Paul Verhoeven, co-écrit par le cinéaste avec David Birke, doit sa particulière richesse au fait qu’il noue (au moins) deux histoires en une : d’une part, le miracle (ou le blasphème, c’est selon) des stigmates (ou simples blessures) qui s’inscrivent à même la chair de Benedetta (Virginie Efira), "épouse" du Christ, et d’autre part, la relation lesbienne, et charnelle, qu’elle entretient avec une novice, Bartolomea, qui, circonstance aggravante, a recours à un accessoire (un godemiché taillé dans une statuette virginale) significativement dissimulé dans un livre de prières.


 

Ces deux scénarios viennent nous rappeler (après Georges Bataille et bien d’autres) les rapports de la joie spirituelle et de l’émotion des sens. Benedetta entre dans une sorte de transe après avoir vu apparaître Jésus Christ ; la poitrine de la nonne n’est d’abord palpée par Bartolomea que pour mieux sentir le cœur qui la gonfle.
Plus précisément, Paul Verhoeven prétend nous faire ressentir que l’effusion érotique peut en elle-même être une voie d’accès à l’effusion mystique. Il n’est ici qu’à écouter les susurrements de Benedetta sous les étreintes de son amante - "Doux Jésus"," mon Dieu" - et nul doute que la requête faite à cet instant par la nonne ("plus loin") soit aussi une manière de tendre vers cette extase spirituelle. Les voies du Seigneur sont pénétrables.


 

Bien sûr, son entourage aura beau jeu de prétendre que Benedetta est folle, ou bien guidée par l’appât du pouvoir (elle ne va pas tarder à prendre la place de l’abbesse interprétée par Charlotte Rampling), et Paul Verhoeven ne tranche pas à cet égard, préférant faire ressortir en écho la part négative de la vie religieuse : Charlotte Rampling est coupable du pêché de voyeurisme (elle espionne à travers un judas les ébats des deux amantes) et il n’est pas exclu qu’elle soit une lesbienne refoulée.


 

Quant à la pompe ecclésiastique, qui constitue aussi cette part négative, elle intervient par l’arrivée du nonce de Florence et de sa délégation. C’est sur ses ordres que, pour faire avouer Bartolomea, un tortionnaire aura recours à la poire d’angoisse qui vient ainsi s’opposer au godemiché, source de plaisir.


 

Pour corser le tout, l’irruption du nonce dans la cité de Pescia introduit le thème de la peste dont Benedetta prétend qu’elle a été "importée" par le dignitaire ecclésiastique. Le film trouve alors des résonances certaines avec des questions bien contemporaines : le mal vient-il de l’intérieur (Benedetta, la possédée) ou de l’extérieur (le nonce de Florence qui, prétendant chasser l’infamie, pourrait bien faire entrer avec lui un autre mal, bien réel celui-là) ?


 

Petite fille déjà, alors qu’elle et ses parents croisent une bande de brigands, Benedetta s’entend dire qu’elle a bien plus de "couilles" que ses assaillants, et c’est ce qui la rattache d’emblée aux héroïnes de plusieurs films de Paul Verhoeven, à commencer par le récent Elle, également scénarisé par David Birke.
Dans Benedetta, le personnage de Virginie Efira paraît a priori ne pas pouvoir échapper à la condamnation : là où la nonne ne simule pas (avec son amante), elle est condamnée, là où elle simule peut-être (les stigmates issus de sa "fusion" avec le Christ), elle est encore condamnée.


 

À la fin du film, il est tout de même dit, que la cité de Pescia a été épargnée par la peste, et les habitants, exaltés par les discours de Benedetta, auraient donc eu raison de s’acharner sur le nonce qui en était atteint. À moins qu’il ne s’agisse d’un miracle ...
Quant à Benedetta elle-même, passée une vision édénique de la campagne toscane qui nous la montre aux côtés de Bartolomea splendidement dénudée, elle choisit tout compte fait, fidèle à la réalité historique, de réintégrer le couvent. C’est de l’intérieur qu’elle résistera.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021


Benedetta. Réal : Paul Verhoeven ; sc, dial : Paul Verhoeven, David Birke ; ph : Jeanne Lapoirie ; mont : Job ter Burg ; mu : Anne Dudley. Int : Virginie Efira, Charlotte Rampling, Daphné Patakia, Lambert Wilson, Olivier Rabourdin, Louise Chevillotte (France, 2020, 127 mn).



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