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Titane (2021)
de Julia Ducournau
publié le mercredi 7 juillet 2021

par Gérard Camy
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2021. Palme d’or

Sortie le mercredi 14 juillet 2021


 


Une petite fille, Alexia, assise à l’arrière d’une voiture, gesticule et donne des coups de pied dans le siège devant elle. Son père, excédé, se retourne. C’est l’accident. La fillette, touchée à la tête, devra porter une plaque en titane dans le crâne.


 

Des années plus tard, Alexia est devenue une go-go danseuse au look androgyne, qui anime des soirées tuning particulières. Sur des musiques rock, elle danse lascivement sur les capots des voitures et noue une relation orgasmique avec sa Cadillac. Asociale, souffrant d’un syndrome post-traumatique, elle cède à des pulsions meurtrières et massacre plusieurs personnes qui croisent sa route.


 


 

Fuyant la police, elle décide de prendre l’identité d’Adrien, un gamin disparu depuis une dizaine d’années et dont elle a repéré la photo sur un avis de recherche. Vincent, le père du garçon, lieutenant de pompiers, psychiquement détruit, noie sa douleur dans l’autorité virile qu’il impose à ses hommes, le contrôle permanent de son apparence, des piqûres quotidiennes de testostérone et des séquences de musculation démentes. D’emblée, il reconnaît Alexia comme son fils et l’amène chez lui.


 


 

Il refuse de voir dans cette jeune fille au crâne rasé, à la poitrine dissimulée sous des bandages, autre chose que son enfant. "Je veux pas savoir qui t’es, t’es mon fils. Tu seras toujours mon fils. Le reste je m’en fous, c’est clair ?", s’écrie-t-il, à la fois pathétique et exalté. Mais la jeune femme sent grandir dans son ventre une forme de vie étrange. Alors, entre ces deux âmes perdues et écorchées, Vincent, qui refuse l’évidence et Alexia prise au piège de son identité, une étrange relation s’installe, dans laquelle chacun cherche sa place, et, pourquoi pas, une rémission éventuelle.


 

Après Grave (2016), sombre rêverie sur le sang, Julia Ducournau récidive avec ce second long métrage dont le personnage principal est encore une femme, à la fois fascinante et inquiétante. Elle réussit une fois de plus à bousculer nos regards avec cet objet cinématographique insolite et violent, tout en adhésion ou refus, qui emporte ou insupporte, mais ne laisse jamais indifférent. Jouant avec les genres, les styles et les références, elle nous entraîne dans un monde équivoque et troublant où émerge la route d’une serial-killer. Elle nous plonge sans attendre dans une représentation de film d’horreur, le body-horror, avec une certaine complaisance parodique (la séquence du massacre dans la colocation est à la limite de la comédie). Et puis, tout aussi brutalement, elle laisse flotter un air d’humanité en proposant une histoire familiale particulière, à la fois dramatique et poignante.


 


 

La cinéaste convoque, avec un brio évident, les autres cinéastes qu’elle admire, et joue astucieusement avec nos souvenirs cinéphiliques. La plaque de titane d’Alexia rappelle bien sûr les rapports entre la chair et le métal de Tetsuo de Shinya Tsukamoto (1989) et les questionnements autour du corps de Crash de David Cronenberg (1996).
L’accouplement improbable de la jeune femme avec la voiture nous plonge dans l’univers du Christine de John Carpenter (1983) et n’est pas sans rappeler Jumbo de Zoé Wittok (2020) qui voit son héroïne lier une relation avec un manège de fête foraine.


 

Par-delà la maîtrise de sa mise en scène, et le regard qu’elle porte sur les corps dissimulés, altérés, dopés, transformés, Julia Ducournau, nous fait découvrir une jeune actrice inconnue, Agathe Rousselle, qui donne au personnage d’Alexia une force animale incandescente. À son côté, Vincent Lindon, méconnaissable en pompier bodybuildé, est magistral.


 


 

Enfin, Titane est servi par une BO de Jim Williams (déjà compositeur de celle de Grave ) magnifique et oppressante, ponctuée entre autres par le superbe Wayfaring Stranger, un rock du mythique groupe de Denver 16 Horsepower, conduit par David Eugene Edwards et Pascal Humbert entre 1992 et 2005.
Même si cette Palme d’or ne fait pas l’unanimité, elle a le mérite de mettre en valeur un cinéma français encore à la marge mais qui ne manque ni d’originalité ni d’identité.

Gérard Camy
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021


Titane. Réal, sc : Julia Ducournau ; ph : Ruben Impens ; mont : Jean-Christophe Bouzy ; mu : Jim Williams. Int : Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier (France-Belgique, 2021, 108 mn).



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