par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021
Sortie le mercredi 13 octobre 2021
Lina Soualem filme ses grands-parents, Aïcha et Mabrouk, venus d’Algérie il y a plus de soixante ans, installés depuis à Thiers en Auvergne. Elle les filme au moment de leur séparation, après des années de vie commune, et tente de recueillir auprès d’eux, mais séparément, leurs réflexions et leurs sentiments sur l’exil. C’est un film de montage de plusieurs tournages réalisés à des époques différentes, un film de famille dans lequel Lina Soualem reconstitue l’esprit face au pays d’origine, l’Algérie perdue. Son père, l’acteur Zinedine Soualem apparaît auprès de ses parents, de courts moments ; peu loquace, il est toutefois chaleureux et attentif.
Archives, photos et souvenirs ressurgissent dans ce parcours cinématographique aussi surprenant dans sa forme que par le peu de mots et d’attitudes de chacun. En effet Aïcha et Mabrouk partagent le même refus non-dit d’évoquer le passé. Mabrouk, définitivement enfermé dans le mutisme, laisse parfois poindre un sourire sur son visage impassible, les réponses d’Aïcha ne sont que des cascades de rires empêchant toutes paroles et toutes réflexions.
Ainsi va le film, entre silence et rire, entre déni d’une réalité et oubli d’un passé douloureux. Un film d’une rareté originale et précieuse dont le sujet n’est abordé à aucun moment, un film dont la principale raison d’être se dérobe à chaque instant, dans l’absence de réponse, la fuite ou le fou-rire des deux protagonistes.
Est-ce à travers cette contrainte inconsciente du silence et du rire mêlés, dans l’impossibilité de concevoir Leur Algérie qu’apparaît de la façon la plus criante, le manque et le mal du pays. Nul ne le sait et ne le saura. Nul ne sait non plus comment comprendre la seule réplique d’Aïcha, "Je n’ai rien compris… ", suivie de son rire rebondissant. Est-ce un avertissement au fait de se taire, une manière de faire semblant, ou au contraire une forme de désarroi face à l’incertitude que sera leur avenir.
Cependant le film, empreint de nostalgie, a le mérite de réunir avec modestie et sincérité des individus que la longue vie d’exil a profondément marqués, sans doute jusque dans leur vie actuelle, couple séparé de corps mais vivant à deux pas l’un de l’autre.
Libérée par instants de ses grands-parents, Lina Soualem s’attarde dans la ville de Thiers, berceau de la coutellerie dont l’ancienne usine "Le Creux de l’enfer" transformée aujourd’hui en centre d’art contemporain, demeure un lieu d’une forte puissance, à l’architecture et aux tonalités presque tragiques bordé du vacarme incessant de la Durolle descendant la vallée sur les roches.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021
Leur Algérie. Réal, sc, ph : Lina Soualem ; mont : Gladys Joujou. Int : Mabrouk, Aïcha, Lina et Zinedine Soualem (France, 2020, 82 mn). Documentaire.