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Un ange à ma table (1990)
de Jane Campion
publié le mercredi 20 octobre 2021

par Maurizio Borgese
Jeune Cinéma n°208, mai-juin 1991

Sélection officielle à la Mostra de Venise 1990.
Prix spécial du jury

Sorties les mercredis 24 avril 1991 et 20 octobre 2021


 


Une route qui coupe un vaste paysage aux couleurs vives, le vert foncé des collines, le bleu du ciel, le blanc des nuages. Une gamine grassouillette, à l’allure drôle, le visage joufflu, les cheveux roux. Elle avance sur la route. Puis, effrayée, elle s’enfuit. L’enfant s’appelle Janet Frame et est destinée à devenir un grand écrivain. Jane Campion s’inspire de son autobiographie et en tire un film sensible, émouvant, réussi.


 


 

Dans le premier paysage, dans le premier geste de l’enfant, on retrouve les thèmes essentiels de l’œuvre. Tout d’abord, la fuite, le repli sur soi-même. Janet, trop sensible pour le monde qui l’entoure, dès qu’elle se sent touchée par un regard scrutateur, y compris le nôtre, fuit, s’échappe. Ensuite, il y a la nature. La vastitude des paysages est pour Janet une source d’observation, d’inspiration. C’est aussi une consolation, un refuge devant l’étrangeté, l’indifférence.


 

Après un long et pénible silence face à l’inspecteur scolaire, Janet, adulte, fuit à nouveau au milieu des champs et des bois pour pleurer son désespoir. La nature semble être toujours présente dans le film. Pourtant, les scènes de paysage sont rares, mais Jane Campion les montre comme seul un grand cinéaste sait le faire : des images d’une grande force expressive qu’elle utilise pour rythmer les temps du récit, donner du répit, marquer les transitions temporelles.


 


 


 

Les éléments biographiques de Janet Frame sont nombreux. Articulé en trois parties, le film nous montre le passage de Janet de l’enfance à la maturité, les tragiques épisodes familiaux, l’enfer de l’asile prescrit à la suite d’un mauvais diagnostic de schizophrénie, les voyages en Europe, les premiers succès littéraires.


 


 


 

L’ampleur du sujet aurait pu faciliter le recours à l’emphase. Mais Jane Campion en évite à chaque fois le piège. L’anecdote en elle-même ne l’intéresse pas, elle ne montre jamais les événements dramatiques. Elle observe plutôt les réactions des gens, leurs gestes, les grimaces douloureuses sur les visages. La mort de la sœur aînée nous touche alors de plus près, le silence apparaît plus lourd, poignant.


 


 

La cinéaste recherche continuellement la sobriété, elle met en valeur les gestes anodins. Cela ne veut pas dire pour autant simplicité. Au contraire, la narration est savamment construite. Il suffit de voir les nombreux signes ou présages semés tout au long du récit : la sœur aînée qui n’apparaît pas sur la photo de famille et qui nous dit au revoir d’un geste de la main ; le regard jeté sur un fou par Janet, enfant, lors d’un voyage en train. Il y a ensuite les trouvailles visuelles : le manche de l’épée qui apparaît soudainement au cours d’une leçon d’histoire. Le style de Jane Campion s’avère très personnel.


 

Avec sa caméra, elle est toujours très proche des personnages, elle les suit avec des mouvements chuchotés. Pourtant, elle s’efface derrière le sujet. Son parti pris est la fidélité à Janet Frame, à son œuvre, à sa vie.

Maurizio Borgese
Jeune Cinéma n°208, mai-juin 1991


Un ange à ma table (An Angel at My Table). Réal : Jane Campion ; sc : Laura Jones d’après l’autobiographie de Janet Frame ; ph : Stuart Dryburgh ; mont : Veronika Jenet ; mu : Don McGlashan ; cost : Glenys Jackson. Int : Kerry Fox, Alexia Keogh, Karen Fergus-son, Iris Churn, Kevin J. Wilson, Willa O’Neil, Natasha Gray, Andrew Robertt (Nouvelle Zélande, 1990, 158 mn).



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