Pat O’Neill : Trois films californiens
Un DVD Ciné Doc (2014)
Un cinéma composite et sensuel
par Prosper Hillairet
Jeune Cinéma en ligne directe
"Trois films californiens" annonce le DVD.
Californien ?
Oui, Pat O’Neill est né à Los Angeles en 1939, et il y a fait ses études de design et de photographie.
Son premier film, By the Sea, date de 1962.
Il réalisera par la suite une trentaine d’œuvres, tout en travaillant dans l’industrie des effets spéciaux. Il mènera en parallèle des activités en photographie, sculpture, installation…
Californien ?
Oui, si l’on considère que l’esthétique de Pat O’Neill le rapproche d’autre artistes comme Kenneth Anger, Bruce Baillie, Bruce Conner, dans la lignée d’un cinéma de "l’imagerie" : célébration de l’image, aussi bien sur un plan formel que culturel, historique, magique.
Cette tendance du cinéma de la côte Ouest serait à distinguer, dans le cadre des expérimentations / réflexions visuelles, d’une esthétique de la côte Est, dite parfois "de New York" qui, dans les années 60-70, travaillait dans une mouvance plus conceptuelle-abstraite sur les composants du dispositif cinéma (cadre, photogramme, lumière, mouvement…) affirmant un minimalisme structurel de l’art, une austérité/sobriété de la forme épurée.
Californien, oui, parce qu’à l’opposé de ce cinéma du concept réflexif (qui a produit ses chefs-d’œuvre), et que, dès la première vision, le cinéma de Pat O’Neill est fait d’abondance, d’exubérance, de luxuriance visuelle.
Au "trop peu" du cinéma structurel, il expose un trop plein d’images. Images qui se superposent, se chevauchent, se surimpressionnent pour former un monde onirique / fantastique, comme un Méliès du collage.
Si le cinéma de la côte Est vient pour une part des films abstraits (Eggeling, Richter) ou du Ballet mécanique de Léger, le cinéma de Pat O’Neill serait dans une lignée Un chien andalou, où, à un collage de plans et d’actions, se substituerait un collage dans le plan et le cadre, une forme ouverte visuelle.
Pour ce faire, Pat O’Neill, travaillant au fil des années plusieurs supports de l’argentique (16 et 35 mm) au numérique, utilise toutes les machines possibles d’effets, banc d’animation, tirage optique. Inventeur d’images, de machines, de procédures.
Dans le texte très éclairant de la brochure qui accompagne le DVD, Claudine Eizykman distingue quatre périodes dans l’œuvre de Pat O’Neill : une période "abstraite" de 1964 à 1967, une période de "facture éclatante" (1970 à 1982), une période "fiction / narration" (1982-2008), et, à partir de 2008, une période "numérique", marquée par un retour à la simplicité, au dépouillement.
Les trois films, Water and Power (1989), Trouble in the Image (1996), Horizontal Boundaries, (2008) appartiennent à la troisième période "fiction / narration".
On comprendra qu’il faut donner à ces mots "fiction", "narration", moins, ou pas du tout, le sens de "forme histoire" (à personnage, psychologie et intrigue), mais celui d’un grand récit de l’image et du son, la fiction étant ici la composition éclatée de formes visuelles comprenant des morceaux d’images, dessins, textes, musiques, dialogues… Comme si chaque film reprenait et recomposait en leur singularité chaque période.
Fiction au sens où tout un monde d’événements, de rencontres, d’univers créés, est possible.
Des départs de fictions virtuelles où des histoires n’existeraient que dans et par les images composées, reprises, retravaillées : images documentaires (1), films anciens, formes graphiques, photographies accélérées, incrustées, répétées, tremblées, immobilisées, images noir & blanc ou couleurs (et quelles couleurs !)…
Un fantastique mais où les monstres et les fées sont les images elles-mêmes.
Narration au sens de "forme composite" juxtaposée, de paysages, objets, intérieurs, figure humaine, mais où celle-ci n’est pas première et est toujours prise dans une matière-image malaxée. Un monde qui ne conclut pas. Des bouts, des amorces, "Je compose, je superpose" dit Pat O’Neill.
Il faut féliciter Ciné Doc de mettre ces films à disposition du public français. Leur politique éditoriale marquant une continuité dans la ligne d’une création formelle (Alexeïeff, Mc Laren, Robert Cahen, Bruce Baillie et Michael Snow, déjà proposés).
Il s’agit avec Pat O’Neill de confirmer ce cinéma formel, mais ici avec la sensualité et le merveilleux d’un univers coloré, rapide, tonique.
Comme surfer sur une vague d’une plage californienne. Une vague d’images.
Prosper Hillairet
Jeune Cinéma en ligne directe (jeudi 1er janvier 2015)
1. Water and Power a reçu le Grand Prix du Jury du film documentaire au Festival de Sundance en 1990.