Mannheim-Heidelberg, 8-18 novembre 2012, 61e édition
Les Chines de Mannheim-Heidelberg
avec zoom sur la Mongolie intérieure
par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°350-351, printemps 2013
Le Festival de Mannheim-Heidelberg a toujours eu un petit faible pour les cinémas chinois (Mainland, Taïwan, Hong Kong) (1), avec bien souvent une longueur d’avance sur les autres festivals.
Après avoir connu trois directeurs depuis sa naissance en 1952, sous l’actuelle direction du Dr Michael Kötz, le festival persiste et signe, en focalisant, en 2012, sur la Mongolie intérieure.
Festival international, en reconstruction d’après-guerre, il commence par privilégier les cinémas européens et ceux d’Allemagne de l’Ouest.
Mais dès sa première édition, il offre deux documentaires chinois, un sur la nouvelle Shanghai, et un sur la Chine du Sud. Si les noms des réalisateurs se sont perdus dans les archives, il convient de noter que cela n’advient que trois ans après la proclamation de la République populaire de Chine, par Mao Tsé-toung, et l’éviction vers Taïwan de Tchang Kaï-chek (qui meurt en 1975).
On considère généralement que le cinéma documentaire et d’actualité chinois ne commence à s’épanouir qu’à partir de 1953, avec la création du Central Newsreel and Documentary Film Studio à Shanghai.
Donc on peut supposer que ces deux premiers documentaires programmés en Occident sont encore issus du studio précédent, le Studio Yan’an (fondé en 1938 par la "8e Armée de route", au sein de l’Armée rouge chinoise) et représentent une sorte de transition.
Les années passent.
En 1969, Mannheim programme, en compétition, son premier film chinois de fiction. Il vient de Hong Kong : L’Arche (Dong Fu Ren) de Shu Shuen Tong, jeune réalisatrice de 28 ans, découverte par Pierre Rissient - échec à Hong Kong mais succès en Europe. Il figure aux côtés des courts métrages de Wim Wenders ou de Michael Raeburn, des premiers longs métrages de Werner Schroeter ou de Hugo Santiago et du Katzelmacher de Fassbinder.
Perdu entre des films tchèques, allemands de l’Ouest, américains et canadiens, et toute une théorie de réalisateurs tombés dans l’oubli, ce petit film intimiste n’est remarqué ni par le journaliste de Jeune Cinéma, ni par le jury (Vera Chytilova, Peter Fleischmann et Werner Herzog, notamment).
Malgré cela, et même si nous savons que toute programmation est faite de hasard et de nécessité, ce petit film identifie Mannheim comme un festival précurseur (2).
En Chine, les "générations" de cinéastes chinois se succèdent.
La 1ère génération (1905-1932), période du muet, qui filme principalement l’Opéra de Pékin, prend fin avec le bombardement de Shanghai par l’armée japonaise.
La 2e génération (1932-1949), progressiste "pré-communiste", aborde des thèmes plus sociaux. Au cours de cette première période, les échanges avec l’Occident sont ouverts. À partir de 1911, à l’intérieur, les nationalistes et les communistes luttent pour le contrôle des studios, de Shanghai surtout, mais aussi de Canton et de Pékin. Elle s’achève avec l’arrivée au pouvoir du PCC. Les opposants s’exilent, notamment à Hong Kong.
Arrivent les 3e (1949-1966) et 4e générations (1976-1982).
Mis à part le désert violent des dix ans de la Révolution culturelle qu’il a traversé, le cinéma chinois existe. La tentation de la propagande est permanente, mais on assiste à l’épanouissement des documentaires et des films d’actualités, au développement du secteur des films d’animation, voire à l’identification d’"auteurs", que les Européens apprennent vite repérer : Xie Jin par exemple. L’Académie du cinéma de Pékin ouvre ses portes en 1978, qui va produire la 5e génération.
Chez les Européens, les représentations psychosociales et politiques de la Chine se métamorphosent, rythmées, entre autres, par le Grand Bond en avant (1958-1962), la Révolution culturelle (1966-1975), le soutien au Khmers rouges au Cambodge (1975-1979), la mort de Mao (1976).
Elles se superposent sans s’annuler aux visions de Joris Ivens (1938, 1958, 1971-1976, 1988), de Bellocchio (1967) ou Antonioni (1973). Infiltrées de propagande ou résistantes extra-lucides, elles sont aussi nourries par les arrivages irréguliers (3), de Hong Kong et de Chine continentale, d’abord épars puis en rafale, dans tous les festivals, à partir de 1980.
Mannheim a suivi l’affaire dans les années 70 et programmé régulièrement des documentaires.
Il exhume, en 1978, une fiction de Sang Hu (1916-2004) (4).
Enfin il propose un tir groupé de films de cinq films inédits de Hong Kong en 1979, et, en 1982, une rétrospective du cinéma chinois continental (1934-1981).
C’est l’occasion pour tous de réviser l’histoire chinoise à partir de son cinéma et toutes les revues y vont de leur numéro spécial.
Andrée Tournès évoque l’année 1982 comme un feu d’artifice de découvertes, un éblouissement qui a commencé à Cannes en mai 1981, prolongé par Berlin en février et, donc Mannheim en octobre 1982 (5).
Le surgissement de la 5e génération va suivre, qui ouvre son art aux individus, à leurs "situations" et même à leurs états d’âmes, accueillis avec enthousiasme par les Occidentaux dont les repères chinois commencent à se stabiliser (6).
Bon an mal an, depuis lors, la Chine fait partie du paysage de la Stadthaus, chaque automne à Mannheim. Des crus parfois inégaux, mais toujours de véritables témoignages. Avec quelques points d’orgue.
Dès 1983, le festivall est à l’avant-poste de la nouvelle vague taïwanaise avec L’Homme-sandwich, film collectif de trois sketches, dont Hou Hsiao-hsien signe La Grande Poupée du fils, et qui obtient la Mention spéciale du jury.
En 2002, "Master de cinéma" pour Zhang Yimou avec une rétrospective de huit de ses premiers films.
Et enfin, l’inoubliable série de 2007 (dix films chinois épatants), sur les bords du Rhin, alors que la Stadthaus est en réfection, dont le délicieux et bidonnant tryptique surréaliste Xia wu guo jiao du directeur de théâtre Zhang Yuedong, un cinéma indépendant dont on peut regretter qu’il n’ait pas (encore) fait école.
Mongolie extréieure
En 2013, personne ne peut prétendre qu’il ignore la Mongolie, dont le fort parfum d’exotisme n’est pas (encore) éventé.
Les informations et les images nous cernent, depuis Chris Marker qui prétend être né à Oulan-Bator, jusqu’aux yourtes qu’on peut acheter sur Internet comme chambre d’ami dans son jardin.
Dans nos mémoires, Tempête sur l’Asie de Poudovkine, Dersou Ouzala de Kurosawa, Urga de Mikhalkov, et le plus récent Mariage de Tuya du Chinois Wang Quan’an (Ours d’argent 2007), côtoient tout un folklore de documentaires, plus ou moins talentueux, plus ou moins fictionnels, de toutes nationalités.
Il ne pousse rien dans le désert de Gobi, mais tout le monde peut en piller les images et on raffole des steppes de l’Asie centrale, des pittoresques rituels et des vaillantes minorités.
Dans nos temps accélérés, où les dieux se transforment en idoles, où Marx fait défection et où Freud fait figure de primitif préhistorique, le "chamanisme", qui faisait l’objet d’études élitistes dans les années 50 (Mircea Eliade ou Roger Bastide), est devenu un argument de tour operator. En tant que praxis de l’animisme, côtoyant joyeusement le bouddhisme tibétain ou le catholicisme, il est même devenu réconfortant.
D’ailleurs, le cinéma mongol existe, subventionné par les Soviétiques à partir de 1921. Les studios Mongol Kino ont été fondés en 1935, et en 2006, il existerait à Oulan-Bator cinq écoles de cinéma et plus de deux cents studios de production.
Les réalisateurs mongols sont encore souvent formés en Occident et notamment à la célèbre VGIK de Moscou (7).
Indépendant depuis 1989, le cinéma mongol se cherche des coproducteurs, le Japon par exemple.
La réalisatrice star des années 2000 est Byambasuren Davaa, née en 1971 à Oulan-Bator et formée à Munich, qui en est à son cinquième film. Paris est informé. En 2005, le musée de l’Homme a programmé une cinquantaine de films consacrés aux Mongols depuis 1919, et de mars à juin 2007, le musée Guimet une rétrospective du cinéma mongol, avec une vingtaine de films.
Bref nul n’est censé ignorer LA Mongolie et ses représentations.
En fait, il y eut bien, un temps, UN Empire mongol, immense et mythique, fondé par Gengis Khan, grand conquérant devant l’éternel, qui avait rassemblé les tribus nomades (8).
Mais c’était il y a très longtemps, et le destin des empires, c’est d’avoir des débuts et des apogées, donc des chutes.
L’Empire mongol, c’est une longue histoire.
Bon, à la fin, la Mongolie est prise en sandwich entre les deux grands protagonistes, la Chine et la Russie séparées par le fleuve Amour, avec leurs histoires personnelles et leurs grandes dates (9), puis elle scissionne.
Mongolie intérieure
Aujourd’hui, il y a deux Mongolies, qu’il ne faut pas confondre :
* la République populaire de Mongolie (capitale Urga, devenue, en 1924, Oulan-Bator - "Héros rouge"), inféodée à l’URSS, liée à la Russie, et qui prend toute la place ;
* la Région autonome de Mongolie intérieure, région chinoise (capitale Hohhot, fondée en 1581 - "Ville bleue-verte", 23 millions d’habitants quand même), méconnue (10). Pour information, la région Mongolie intérieure connaît, depuis 2000, une forte "croissance" du niveau de vie moyen, et donc des inégalités, entre l’ethnie Han et les autres, entre la ville et la campagne, etc., ça s’appelle la colonisation, on connaît.
Pour le cinéma, l’Institut du cinéma à Pékin avait créé, à la fin des années 50, le Xinjiang Film Studio et le Inner Mongolia Studio réservés aux étudiants en cinéma appartenant aux minorités nationales ouïghour et mongole.
Aujourd’hui, à Hohhot, il y a le Inner Mongolia Film Studio, sous le contrôle de la région.
Par ailleurs, il existe un parti dissident, le Inner Mongolian’ People’s Party (IMPP), actif pour la protection des droits de l’homme domicilié à Princeton, USA.
En 1995, Mannheim avait commencé par évoquer la République mongole avec Aldas (Choymbolyn Jumdaa, 1994).
Dans la série chinoise d’octobre 2007, figurait le film de Chine continentale, Mongolian Ping Pong (Ning Hao, 2005), tourné en Mongolie intérieure et en langue mongole (11).
En 2012, encadrés par un film de Taïwan (When Yesterday Comes, collectif) et un film de Chine continentale (12), voici deux films estampillés pure Mongolie intérieure, tous deux de l’année : la langue, les réalisateurs, les sujets.
Deux belles surprises.
Hajab’s Gift (Le Don de Hajab) de Chen Liming
Le film de la réalisatrice Chen Liming (13) nous a paru ouvrir le plus largement le champ de cette découverte, par sa beauté formelle, sa sensibilité, et parce que le film reprend toute l’histoire de la région, en mongol, sous-titré mandarin, à travers celle de la vie du chanteur traditionnel Hajab (14), sans tomber dans les travers courants des biopics.
Quand le nomade amène son fils nouveau-né au lama, celui-ci fait les calculs nécessaires et déclare : "Pour ce jour, à cette heure, appelle-le ’Hajab’. C’est tibétain. Cela veut dire "don du ciel". Il sera intelligent, il aura l’esprit vif. Quand il sera en âge, amène-le pour qu’il devienne un lama comme son grand-père".
C’est le prologue.
On se trouve ensuite dans une cabine d’enregistrement de radio moderne, où le chanteur, devant un grand orchestre, ne parvient pas à émettre une seul son, envahi par un douloureux souvenir de 1968, à Hohhot, en prison. Alors débute vraiment le film.
Plus qu’un procédé de narration en flashback, il s’agit d’une véritable anamnèse, morcelée mais cohérente, d’un grand chanteur et de son pays mutant.
Alors qu’il n’était qu’un berger, les lamas lui ont découvert une voix merveilleuse, capable de chanter l’urtiin duu (ou "chant long", qui se définit par la longueur des vocalises) (15). Son maître lui a enseigné à la fois la technique et le sens profond de ce chant, qui épouse les mouvements de la nature et la mélancolie du cœur mongol, les vagues de la Xilin River, le vent de la steppe et le rythme des saisons, comme les hauts et les bas des âmes et des vies.
Il a donc vécu en exerçant son art, bien souvent au détriment de sa vie privée (ses deux bien-aimées, ses chevaux, sa yourte). Devant le seigneur féodal, amateur éclairé mais collaborateur des Japonais, devant les bandits locaux (désarmés par l’émotion), comme devant les gardes rouges qui le torturent ("ce sont des braillements d’ânes") ou le commissaire politique ("quand nous sommes en train de consolider la révolution, tu ensorcelles le peuple avec des chants réactionnaires").
À Pékin, aussi, devant Mao, soucieux, un temps, de s’annexer les minorités, il chante. Et finit par se faire récupérer via un fonctionnaire obtus ("qu’est-ce que c’est que cette connerie, la mélancolie, quand on est salarié et logé par l’État, avec un seul devoir, celui de chanter le socialisme ?"), sans jamais rien lâcher de son art ni vraiment comprendre ses capitulations.
Réactionnaire ? Il s’est toujours considéré comme "chanteur du peuple", "People’s Vocalist from the Grasslands to Tienanmen Square", titre que Mao lui a décerné, et c’est sa meilleure récompense.
Là-bas, à l’intérieur de la yourte, sa deuxième femme meurt en l’entendant sur son transistor.
Vieux, il rentre dans son pays qui se transforme, mal, baraquements moches, bergers en moto, et toujours - 40° l’hiver.
Il essaye d’oublier le passé en buvant, c’est là que la jeune journaliste de Pékin, en 2000, va récupérer les souvenirs du vieux maître qui a traversé le siècle sans être éclaboussé.
Tangka de Hasi Chaolu
Urtiin duu, c’est aussi le titre du premier film de fiction de Hasi Chaolu, en 2006, qui évoque une chanteuse d’origine mongole qui retrouve ses racines (16).
Tangka est son cinquième film.
Rappelons tout d’abord qu’un tangka est une peinture tibétaine, généralement sur tissu, aux sujets très codés : les mandalas (supports abstraits de méditation), les divinités bouddhistes ou même le Dalaï-lama.
Le film raconte, en tibétain, l’histoire d’une école de peinture au Tibet, dont le vieux maître, hyper traditionnel et en train de devenir aveugle, est en conflit esthétique et philosophique avec son fils, moderne occidentalisé.
En fait, le mot tangka signifie : "remplir un espace vide", ni plus ni moins, ce qui sert d’argument au débat.
Quand le vieux maître, désemparé, part à la recherche de la réincarnation de son propre maître, il tombe sur un handicapé privé de ses mains, qui lui apparaît pourtant comme son successeur naturel. À la fois léger et grave, il présente avec une indulgence amusée les conflits et les jeux du petit peuple, encadrés par les croyances, incontournables repères des vies quotidiennes, qui trouveront leurs harmonies au festival théâtral du Shoton, à Lhassa, à la fois religieux et profane.
Le film est riche de nombreux personnages secondaires, qui contribuent à présenter "le vrai Tibet, comme il est et comme il change, sa modernisation et sa liberté, la relation de son peuple à l’art et à la nature", selon Hasi Chaolu.
Ces deux films, venus tous deux de Mongolie intérieure, malgré leurs tons et leurs sujets différents, appartiennent à une même profonde unité de propos.
Il faut savoir, tout d’abord, que la Mongolie au Nord et le Tibet au Sud sont deux grandes régions chinoises qui, au delà des distances géographiques, entretiennent des liens secrets : le bouddhisme tibétain est la religion officielle de l’Empire mongol depuis le 16e siècle, et, de campement en campement, les chanteurs répandaient les poèmes épiques du Tibet dans le Nord.
Aujourd’hui, c’est la religion de 90% des Mongols.
Leur sujets aussi rassemblent ces deux films.
D’un côté le urtiin duu et l’âme mongole, de l’autre le tangka et l’identité tibétaine, clament le caractère sacré de l’art, par lequel un peuple se définit, s’affirme, se défend.
Ce qui témoigne d’une foi philosophique en l’art, qui s’est depuis longtemps effilochée sur le "marché" occidental, tout autant que dans les fanatismes éparpillés, quelles que soient leurs époques.
Ce sont des films "militants", en quelque sorte. Mais ce sont, aussi, des films chinois, produits par la Chine, celle des Hans.
Tous deux évoquent des sujets souvent considérés comme sensibles, la tradition, l’art ou la religion, les minorités, l’Histoire tant qu’elle n’est pas "officielle". Et ils le font dans la douceur pendant que d’autres s’immolent par le feu. Ce sont aussi des films de propagande, en quelque sorte.
Il est toujours permis de s’interroger sur les mystères de la progression souterraine des idées, ruses et discours cryptés des uns, vieilles taupes des autres, et innombrables aveuglements.
En 2012, le Beijng News constate que les festivals européens accueillent finalement très peu de films chinois et que, symétriquement, les Chinois ne recherchent pas spécialement l’audience de l’Ouest.
Le journal reconnaît d’ailleurs que le marché du film en Chine est saturé, et que la qualité ne suit pas toujours. (rapporté par le quotidien Global Times, spécialisé dans l’actualité internationale et dépendant du Quotidien du Peuple).
Tout se passe comme si le public des festivals n’était pas le peuple, celui qui est dangereux pour tous les pouvoirs.
C’est là que le travail d’explorateur de Mannheim peut être décisif.
Festival de documentaires à sa naissance, en s’ouvrant à la fiction en 1961, il n’a jamais changé de cap.
Il demeure une sorte d’observatoire avancé de l’état du monde, assidûment fréquenté par "les gens", le commun des mortels, ceux à qui appartient le monde dès lors qu’ils se mettent à penser et à agir.
Insensible aux snobismes ou au mainstream, en évitant toute reproduction des élites et sans craindre de se tromper, tirant des bords avec enthousiasme, il ouvre les pistes.
Nouveaux talents, nouvelles visions, lendemains possibles.
Sur ces chemins inconnus, se perdre n’est pas un risque mais un luxe.
Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°350-351, printemps 2013
1. La traditionnelle distinction des trois sources des films chinois (Mainland, Hong Kong, Taïwan) est périmée. La rétrocession de Hong Kong à la Chine continentale à partir de 1997 et les coproductions qui se généralisent brouillent désormais les origines. C’est le cas, par exemple, de Zhang Yimou ("Cinquième génération") qui, né en 1951 d’une famille proche du Kuomintang (réfugié à Taïwan), est diplômé de l’École de Pékin, ainsi que des films de la diaspora (Ang Lee).
2. Mannheim à titre de comparaison avec les autres festivals, toutes choses égales par ailleurs :
* La Mostra de Venise (née en 1932 sous Mussolini), alors qu’elle a pratiquement lancé le cinéma japonais dès les années 50 (Kurosawa et Mizogushi), ne programme son premier film chinois qu’en 1971, un classique : Le Détachement féminin rouge (1961) de Xie Jin. Il faut attendre 1989 pour le suivant, avec La Cité des douleurs du Taiwanais Hou Hsiao-hsien.
* Le Festival de Cannes (né en 1946) programme ses deux premiers films chinois en 1959 (un long et un court tous deux oubliés) : qui se souvient de La Pécheresse et de son réalisateur Tien Shen ? En 1960, 1962 et 1963, Cannes invite trois fois de suite le jeune Li Han-hsiang, cinéaste chinois exilé à Hong Kong qui vient de rejoindre la Shaw Brothers (1926-1996), spécialisé dans les drames historiques. Ce qui n’est pas un mauvais choix, puisqu’il se révélera, lui, extrêmement prolifique (82 films).
* La Berlinale (née en 1951), elle, ne s’avise que le cinéma chinois existe qu’avec son explosion générale en Europe au début des années 80.
* Le Festival des Trois Continents de Nantes (né en 1979), n’accueille la Chine qu’en 1984, avec une rétrospective du vieux Xie Jin (1923-2008). C’est l’occasion de noter que son film, Le Gardien de chevaux (Mumaren, 1982), se passe en Mongolie. En 1994, Nantes programme une rétrospective du cinéma mongol.
* Il faut citer le Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul (FICA) né en 1995, qui se montre très attentif aux minorités, et a récompensé, en 2008, Le Vieux Barbier du cinéaste mongol Hasi Chaolu (qui se passe à Pékin).
* Le Festival du cinéma chinois de Paris (né en 2004), propose, outre les films récents, des rétrospectives de vieux maîtres : Sang Hu (1916-2004) ou Sun Yu (1900-1990), comme de nouveaux talents : Wang Xiaoshuai (né en 1966)
3. À Paris, on peut voir La Fille aux cheveux blancs de Wang Bin, dès 1959, film aux nombreuses versions, dont celle de San Hu, en 1972.
Et dès 1961, Le Détachement féminin rouge de Xie Jin.
4. New Year Sacrifice (Zhu Fu) de Sang Hu (1956), récompensé à Karlovy-Vary en 1957.
5. Jeune Cinéma n°147, décembre 1982-janvier 1983, pp. 4-13. Andrée Tournès évoque un ouvrage édité par le Festival de Mannheim 1982 : Théorie du cinéma chinois et pathétique classique. C’est la deuxième fois que la revue aborde le cinéma chinois, la première occasion lui avait été fournie par le Festival de Royan 1976. La Fédération Jean-Vigo acquiert trois films des années 50 qu’il faut sous-titrer et réduire en 16 mm : La Légende de Luban de Sun Yu, La Lettre à plumes de Shui Hua et La Boutique de la famille Lin de Shi Hui.
6. Le premier film de Chen Kaige, Terre jaune, date de 1984. Le premier film de Zhang Yimou, Le Sorgho rouge, date de 1987.
7. VGIK : L’Institut national de la cinématographie S. A. Guerassimov, à Moscou.
8. À l’Est, Gengis Khan se paya le luxe de piller Pékin en 1215, à l’Ouest, ses quatre fils poussèrent jusqu’en Pologne et en Grèce, et au Sud, jusqu’au Tibet. Son petit-fils, Kublai Khan, acheva la conquête de la Chine, reconstruisit Pékin, et accueillit Marco Polo, pendant que l’Empire mongol se repliait et pansait ses blessures de guerre. Longtemps, la Chine fut inféodée à la Mongolie. En 1911, Sun Yat Sen déclare que la Chine a été occupée deux fois, par des puissances étrangères, les Mongols puis les Mandchous, et qu’il est temps de proclamer la République de Chine.
9. Pour mémoire : 1911 et 1949 pour la Chine ; 1905, 1917 ; 1969 et pour la Chine et la Russie en conflit ouvert ; 1939-1945 et 1989 pour tous.
10. La Chine se reconnaît comme un État multiethnique. L’ethnie majoritaire est celle des Hans (92% de la population). Elle reconnaît 55 autres ethnies, et cinq régions autonomes (définies parce qu’elles comptent historiquement d’importantes minorités nationales) qui gèrent leurs propres affaires : les Mongols de Mongolie intérieure, les Tibétains du Tibet, les Ouïgours du Xinjiang, les Hui du Ningxia, les Zhuang du Guangxi.
En revanche, la Chine se défend des revendications indépendantistes, comme celle du Tibet ou de la Mongolie intérieure, qui eux se pensent comme des peuples colonisés. On se souvient des émeutes des Ouïghours au Xinjiang, en juillet 2009.
11. Aldas (1994) de Choymbolyn Jumdaan (né en 1953, à Delger-Khan, Mongolie, et diplômé de Moscou), tourné avec une équipe française, raconte la confrontation d’un jeune motard de Oulan-Bator avec son grand-père berger dans la steppe. Ce réalisateur ne semble pas avoir persévéré.
Mongolian Ping Pong (2005) du Chinois Ning Hao (né en 1977, dans le Shanxi et diplômé de Pékin), film pour enfant, présente l’intérêt d’avoir été tourné en Mongolie intérieure. Ning Hao a depuis fait son chemin : six films au compteur, et de nombreuses récompenses (outre les festivals asiatiques, Valladolid et Marrakech, et à Berlin le Prix du public 2005).
12. De Chine continentale, Just Try Me (2012) de Li Xiang Zhao : les mésaventures sociales d’une jeune femme comme épreuves d’initiation avant le véritable affrontement, celui de l’écriture et de la page blanche. Programmé au 15e Festival international du film de Shanghai. De Taïwan, le film à sketches, When Yesterday comes, de Chiang Hsiu-Chiung, Singing Chen, Ho Wi-Ding et Shen Ko-Shang (2011) : commandé à quatre réalisateurs prometteurs par la Taiwan Catholic Foundation of Alzheimer’s Disease and Related Dementia. Le sujet a été très souvent abordé depuis une dizaine d’années, par tous les pays du monde, mais ce film-là recèle de vraies trouvailles et de réelles beautés. Il a reçu la Mention spéciale du jury international à Mannheim.
13. Chen Liming est née à Hohhot en 1956. Après des études de linguistique à Pékin, elle est retournée au pays. Professeure de chinois, rédactrice en chef à la Inner Mongolia People’s Broadcasting Station à Hohhot, elle a dirigé, sur la chaîne de télévision locale, le programme "Memory of Grassland" entre 1998 et 2007 pour lequel elle a réalisé de nombreux documentaires.
14. Hajab, né en 1920, passa onze ans en prison parce qu’un de ses chants avait irrité les communistes, mais il survécut à la Révolution culturelle. Surnommé "the King of Grassland", il chanta devant Mao. Des chercheurs l’ont rencontré à la fin de sa vie, afin de préserver un héritage musical fragile. Chen Liming a fait plusieurs documentaires de télévision sur Hajab. Cette fois, elle raconte toute son histoire. Le film est dédicacé ainsi : "We dedicate this film to our elderly parents, our deeply beloved home in the Grasslands, and the Mongolian songs that nurture our hearts".
15. Comme chez tous les peuples nomades, la musique est plus vocale qu’instrumentale, et parmi les chants mongols, le Urtiin duu est le plus remarquable, qui nécessite un talent particulier, des passages fréquents de la voix de gorge à celle de tête et beaucoup de souffle. En 2005, l’Urtiin duu a été déclaré chef-d’œuvre du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
16. Hasi Chaolu est né en 1966, en Mongolie intérieure. Après des études à l’université de Hohhot, il est monteur au studio de cinéma de Mongolie. Réalisateur depuis 2000, avant Tangka, il a réalisé quatre films souvent récompensés dans des festivals internationaux, dont un long métrage Le Vieux Barbier, sélectionné en compétition au FICA de Vesoul en 2008. Il travaille aussi pour la télévision avec plusieurs séries très populaires. Il dirige les productions Inner Mongolia Film Group.