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Mannheim-Heidelberg 2004 II
Zoom sur la Scandinavie
publié le vendredi 2 janvier 2015

Mannheim-Heidelberg, 18-27 novembre 2004, 53e édition

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°298-299, automne 2005

Voir le programme, les jurys et le palmarès

Même si le Festival n’est pas spécifiquement nordique, la balance des sélectionneurs penche toujours un peu du côté du septentrion.

Cette année encore, les œuvres de la vieille Europe (les trois films portugais exceptés) étaient peu nombreuses et ne dépassaient pas l’honnête niveau minimal que l’on attend d’un tel festival et le tour était vite fait :
* Un film français : le gentil Doo wop de David Lanzmann, sorti depuis confidentiellement à Paris.
* Un film italien : Nema problema, de Giancarlo Bocchi.
* Un film espagnol : Move ! Where Are You Going ?, de Pietro Jona.
* Un film anglais : Solid Air, de May Miles Thomas.
* Un film suisse : Nocturne, de Riccardo Signorell.

En revanche, les amateurs du cinéma scandinave étaient à la fête : trois films norvégiens (dont deux justement récompensés à l’heure des prix), deux danois et un suédois.
De quoi se faire une rapide idée, à défaut de fréquenter le Festival de Rouen, de l’état des lieux au-delà du 55e parallèle. Le paysage est plus serein, maintenant que nous n’avons plus à redouter les débordements du cyclone Dogma, récemment enterré par ses promoteurs. Moins donc de caméra tourbillonnante, de photographie à grains, de psychodrame haletant - et de spectateur effondré.

Ainsi, Chlorox, Ammonia & Coffee ! de la Norvégienne Mona J. Hoel est une comédie chorale finement mise en place, dont tout ce qui plombait son précédent Cabin Fever (2001) a disparu. Des personnages bien dessinés s’y croisent : un policier maniaque du trampoline, une sage-femme épuisée et sa bimbo de fille, un gentil épicier émigré (le toujours excellent Farès Farès), un homme d’affaires véreux, son épouse, vendeuse de poissons et cheftaine de chœur, une grand-mère d’extrême droite, tout un petit monde où chacun mêle sa trajectoire à celle du voisin, selon un mouvement brownien assez savoureux. Bon, nous ne sommes pas chez Altman, mais la qualité de l’ensemble des acteurs et la dérision joyeuse qui les anime ont valu au film le Grosser Preis 2004.

Ce grand prix, c’est un autre film norvégien que nous aurions aimé le voir décrocher, plutôt que le Prix spécial qui lui a été attribué : le très charmant Min misunnelige Frisor (My Jealous Barber) de Annette Sjursen.
C’est une comédie à trois personnages quelconques, un timide employé de la morgue, une aromathérapeute sans mémoire immédiate, un coiffeur maniaque. On sait le danger qui guette ce type de cocktail - un zeste d’attendrissement, un soupçon de misérabilisme, une dose de dérision. L’inconnue Annette Sjursen y échappe, avec une maîtrise rare pour une première œuvre. Tout se joue sur le fil, justesse des situations, vérité des personnages, agencement des gags récurrents. Le barbier obsessionnel, qui collectionne les cheveux de ses clients entre deux séances au punching-ball, est une figure qui restera dans notre catalogue des déviants.

Quant au troisième film norvégien, Alt for Egil, de Tore Rygh, c’est encore une comédie et encore une bonne surprise.
Il s’agit d’une histoire d’amitié - entre un livreur de pizza et un garçon aux allumettes, comme chez Kaurismaki - et d’amour - entre le premier nommé et une skieuse sortie du coma. Les interventions ponctuelles, sous forme d’ange gardien, d’un chanteur local apparemment célébrissime, polluent un peu le climat général, mais la justesse des acteurs - trait commun à la plupart des films venus du Grand Nord - emporte le morceau.

Le seul film suédois présenté, Detaljer de Kristian Petri (2003) ressemble à un résumé de la problématique bergmanienne - je t’aime, je ne t’aime plus, m’aimes-tu encore ?, pourquoi ne m’aimes-tu plus ?, je veux un enfant de toi, etc. - en milieu aisé, éditeur, médecin, écrivaine, dramaturge, avec projections dans l’au-delà et travellings marienbadesques dans une bâtisse déserte. Mais, ô miracle, tout ce qui pourrait sembler caricatural est si bien architecturé, composé au petit point, découpé et monté sans esbroufe, et surtout si superbement joué par Pernilla August et Michael Nyqvist que l’on ne chipotera pas : les thématiques éprouvées fonctionnent toujours, tout tient à l’habileté du tireur de ficelles.

Les deux films danois retenus se partageaient équitablement entre comédie et tragédie.

Regel n° 1, d’Olivier Ussing (2003) n’a rien à envier à ses homologues norvégiens, sur le chapitre de la fraîcheur et de la finesse des situations.
Une jeune blonde branchée, bien dans sa vie et son temps, va aider sa sœur, moins bien dotée, à trouver un homme présentable. L’argument est léger, prétexte à dresser un tableau très enlevé des codes et comportements urbains de la jeunesse de Copenhague en ce début de siècle. Située entre Bastille et République, l’intrigue nous retiendrait assurément moins, mais ici, le charme de l’exotisme joue pleinement.

En revanche, Dag og Nat (Nuit et Jour,) de Simon Staho nous ramène à un dispositif connu, celui, jadis proposé par Kiarostami, de la caméra embarquée.
Moins rigoriste, le réalisateur ne fixe pas son appareil sous le levier de vitesse, mais filme de l’intérieur de la voiture, variant simplement les cadrages. Le procédé n’a d’intérêt que par ce qu’il met en scène (sinon, on obtient le degré zéro de 10 on Ten), ici la dernière journée du héros, sous forme d’une suite de rencontres qu’il organise sans quitter son véhicule.
Les personnages vont se succéder sur le siège avant, dessinant, à travers un dialogue remarquable, un itinéraire, des constats, des échecs, des saloperies : il rejette son fils pour que celui-ci ne le regrette pas, rompt avec sa maîtresse (magnifique Maria Bonnevie), montre à son meilleur ami qu’il sait qu’il est l’amant de sa femme, aide sa mère à se suicider en l’abandonnant les yeux bandés au bord d’un étang, règle ses comptes avec sa sœur, et finit par se tirer une balle dans la tête lorsqu’une prostituée refuse de le faire contre rétribution. Même si l’on sait que tout est joué (le suicide est montré dès l’origine), jamais le dispositif ne vient oblitérer l’émotion. C’était là le film le plus fort de la compétition, sans doute trop dérangeant pour être décoré par le jury - mais ce n’est pas bien grave.

Mannheim-Heidelberg est un festival rare, d’où l’on revient toujours chargé de découvertes.
Parmi les quarante films vus cette année, nombreux étaient ceux qui n’avaient rien à envier à certaines sections parallèles cannoises.
Dommage que les distributeurs français, à quelques exceptions près, négligent de venir s’approvisionner à cette source.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°298-299, automne 2005

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