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Baal (1970)
de Volker Schlöndorff
publié le dimanche 4 janvier 2015

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Il s’agit de la première pièce publiée de Bertolt Brecht, adaptée au cinéma par Volker Schlöndorff en 1970, film sorti à la fin de l’année dernière, soit quarante-quatre ans après sa diffusion par la télévision bavaroise qui l’avait produit.

Celui-ci fut en effet interdit par la veuve de l’auteur dramatique, Helene Weigel, et leur fille Barbara Schall, pour les raisons que nous allons voir.

L’effervescence post-soixante-huitarde lui rappelant l’agitation qui régnait en Allemagne après la Première Guerre mondiale, lorsque fut écrite la pièce, Schlöndorff voulut la transposer dans l’actualité.

Ce qui ne convainquit pas la veuve de l’écrivain qui déclara : "Il ne suffit pas d’enfiler un blouson noir et de se coller une clope au bec pour être Bertolt Brecht."

Le film n’était donc pas suffisamment brechtien à son goût, d’autant que la déchéance du personnage central incarné par Rainer Werner Fassbinder n’y est jamais explicitée par le contexte social.
On peut aussi considérer que la pièce était trop expressionniste, trop complaisante avec les bas-fonds, amorale, voire anarchiste pour correspondre à l’image d’un Brecht classique, telle qu’on voulait la conserver derrière le Mur.

Schlöndorff souhaitait dans en premier temps monter la pièce au théâtre.
Puis il a intéressé le Bayerischer Rundfunk dont il dont il voulait utiliser les caméras vidéo légères du service des sports et la durée quasiment illimitée de la bande magnétique.
Devant le refus de ce service, jaloux de son matériel, il résolut de tourner la dramatique télé en 16 mm couleur. Le flou du bord du cadre fut obtenu avec de la vaseline, comme pour signaler le passage d’un support à l’autre : la diffusion télévisée arrondit les angles du rectangle pelliculaire en lui rabotant 4% de son contour lors du télécinéma (passage de 1,37 au 4/3 ou 1,33). Ce n’est pas qu’un simple effet de coquetterie de la part du cinéaste.

Lorsqu’il proposa le rôle à Fassbinder, celui-ci eut une réaction altruiste, exigeant que toute la troupe de son Antitheater participât au film, dont les répétitions et le tournage devait dépasser un mois.
Certains des futurs comédiens fétiches de Fassbinder ont de tout petits rôles : Hanna Schygulla, par exemple, n’a qu’une phrase à prononcer.
Le rôle féminin principal est tenu par Margarethe von Trotta, la compagne du réalisateur, qui deviendra par la suite la cinéaste qu’on sait.

La caméra est la plupart du temps tenue à l’épaule par Dieter Lohmann, lui-même guidé par les mains du réalisateur.
Le film fut entièrement tourné en décors naturels : champs de blé et de maïs, forêt, rives de l’Isar alternant avec des cimetières de voitures, des décharges, des parkings, des bords d’autoroute. La structure en chapitres se réfère à la fois à la Nouvelle Vague et aux pancartes découpant le récit brechtien.

Ce qui pouvait paraître discutable à l’époque a pris avec le temps une valeur historique.

Tout d’abord, en raison de la personnalité de Fassbinder, alors âgé de 24 ans. Celui-ci crève littéralement l’écran, à la manière du jeune Brando. Outre le texte poétique de Brecht, légèrement modernisé et allégé par Schlöndorff, que le comédien s’appropria avec une étonnante intensité, Fassbinder fut amené à chanter-parler la Ballade de Baal, un blues plus pop que jazz, plus proche de Jim Morrison que de Kurt Weil, composé par Klaus Doldinger, une balade champêtre filmée en longs plans célestes. Le film est devenu un témoignage sur le bouillonnement culturel et artistique en Allemagne et sur la radicalité de sa propre contre-culture.

En outre, il y eut échange réel entre Schlöndorff et Fassbinder, à tel point que ce dernier intégra à sa troupe deux des acteurs engagés par Schlöndorff : Günther Kaufmann et Margarethe von Trotta elle-même.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe (samedi 3 janvier 2015)

Baal. Réal : Volker Schlöndorff ; sc : V.S. d’après Bertolt Brecht ; ph : Dietrich Lohmann ; mont : Peter Ettengruber. Int : Rainer Werner Fassbinder, Sigi Graue, Margarethe von Trotta, Gunter Neutze, Hanna Schygulla (Allemagne, 1970, 88 mn).

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