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Sociale (la) (2016)
de Gilles Perret
publié le jeudi 21 novembre 2019

par Robert Grélier
Jeune Cinéma n°377, décembre 2016

Sortie le mercredi 9 novembre 2016


 


Il existe des films dont on sent la nécessité à un moment donné. Ils sont comme le fil de rappel dans une cordée. Ce sont eux qui nous disent attention, il y a danger. La Sociale de Gilles Perret est l’un d’eux. Tout l’enjeu consistait à découvrir des acteurs de la société civile susceptibles de transmettre leur histoire personnelle, parties d’un puzzle, pour bâtir le récit de l’édification de la Sécurité sociale.


 

Gilles Perret les a trouvés en la personne de Jolfred Fregonara, ouvrier métallurgiste décédé à l’âge de 96 ans, qui mit en place la Caisse primaire de Sécurité sociale de Haute-Savoie, Colette Bec, professeur de sociologie, Anne Gervais, hépatologue, Bernard Friot, sociologue et économiste, Frédéric Pierru, chargé de recherche au CNRS et Michel Étievent, historien, auteur d’un livre sur Ambroise Croizat. D’autres vont se joindre à ces six intervenants, les uns involontairement, comme de Gaulle, Juppé, Pompidou, Rebsamen, Reynaud et des dirigeants du Medef, les autres volontairement, comme Jean-Claude Mailly, Philippe Martinez et Laurent Berger.


 

La virtuosité de Gilles Perret va consister à capter l’essentiel de chacune de ces voix d’hier et d’aujourd’hui pour raconter la belle et authentique histoire de la Sécurité sociale, qui concerne à présent 65 millions de Français, l’institution qui les accompagne de la naissance à la mort, et dont le budget équivaut à une fois et demie celui de l’État. Le réalisateur souligne que ce fut une longue lutte des salariés vers la dignité, car elle a effacé les peurs de la maladie et de la vieillesse. "Mais lorsqu’on parle d’histoire, il faut toujours se poser la question de savoir qui la raconte et qui a intérêt à la raconter". C’est ainsi que répond Gilles Perret lorsqu’on l’interroge sur les motivations de son travail.


 

Ceci est si vrai qu’au temps du gaullisme militant, et encore aujourd’hui, il n’est pas convenable de dire que c’est un ministre communiste, Ambroise Croizat, avec l’unique appui de la CGT, qui a mis en place cette institution que beaucoup de pays nous envient. Un ministre aujourd’hui oublié, victime de l’histoire officielle, rédigée par des énarques, qui préfèrent glorifier le haut fonctionnaire Pierre Laroque à la place de son supérieur.


 


 


 

Qui était Ambroise Croizat, auquel plus d’un million de personnes rendirent hommage lors de son enterrement, le 10 février 1951 ? Fils d’un manœuvre ferblantier, lui-même ouvrier dans la métallurgie, il est élu député en 1936 à la faveur du Front populaire, impose et signe la première loi sur les conventions collectives. Arrêté en 1939, il connaît la prison et le bagne en Algérie. Libéré en 1943, il est nommé à la commission consultative du gouvernement provisoire. Prenant appui sur le programme du Conseil national de la Résistance, il rédige l’ordonnance du 4 octobre 1945 qui institue la Sécurité sociale qui "libère les Français des angoisses du lendemain".


 


 

La solidarité remplaçait enfin la charité. Pour profiter de l’état de grâce unitaire, il était indispensable de faire vite. C’est donc quasiment en six mois de temps que fut mis en place un système dont le coût de fonctionnement de la branche maladie n’a jamais dépassé les 6 % du budget, tandis que le montant du fonctionnement des assurances complémentaires atteint les 25 %.


 

Mais en 70 ans d’existence, la Sécu a subi des attaques répétées. D’abord une étatisation partielle avec la CSG, conduisant à une privatisation rampante. Conçue comme un service public à la gestion démocratique, elle fut, petit à petit, prise dans les rets des gouvernements successifs. La dimension politique d’hier a disparu au profit de l’économie. De Jeanneney à Touraine, en passant par Juppé, Douste-Blazy, Bachelot, tous se sont acharnés à fragiliser l’institution, démanteler, fiscaliser, étatiser pour partie, afin de mieux la privatiser. Les intervenants démontrent avec force arguments que ce fameux trou de 10 milliards est un leurre, inventé par les "experts" pour justifier les mesures gouvernementales.
Gilles Perret, en bon dialecticien, nous explique, pas à pas, la complexité du système. L’une des meilleur défenses de la Sécurité sociale serait que 65 millions de spectateurs puissent voir ce film.

Robert Grélier
Jeune Cinéma n°377, décembre 2016

* En DVD, chez Les Mutins de Pangée.


La Sociale. Réal, sc : Gilles Perret ; ph : Jean-Christophe Hainaud, Eymeric Jorat, Maëlle Perret & Dominique Vanneste ; mont : Stéphane Perriot ; mu : Laurie Derouf ; son : Christian Chauvin. Avec Colette Bec Patrick Chêne Ambroise Croizat, Bernard Friot, Roger Gicquel, Denis Kessler, Élise Lucet, Philippe Martinez, Jean-Claude Mailly, François Rebsamen Michel Rocard (France, 2016, 84 mn). Documentaire.



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