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Fièvre de Petrov (la) (2020)
de Kirill Serebrennikov
publié le mercredi 1er décembre 2021

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 412, décembre 2022

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2021

Sortie le mercredi 1er décembre 2021


 


Présenté à Cannes cette année, en compétition officielle, comme sa précédente fiction, en 2018, Leto (1), le film est revenu bredouille, et pourtant quelle gifle !
Pendant plus de deux heures, Kirill Serebrennikov nous tient prisonnier du cauchemar dans lequel Petrov est empêtré à cause de sa fièvre. Tiré du roman Les Petrov, la grippe, etc. de Alexeï Salnikov, le film s’est proposé à lui au moment de la préparation de Leto grâce au producteur Ilya Stewart.


 

Durant une longue nuit verdâtre, Petrov traverse la ville en tout sens, notamment les transports en commun russes qui ressemblent à s’y méprendre à la barque de Charon, fièvre et alcool aidant. Ceci dresse un formidable portrait coup de poing de la Russie, pays immense, magnifique, déroutant, au bord de l’écroulement et sans cesse renouvelé.


 

Au cours de ce voyage, Petrov rencontre des êtres vivants et des sortes de zombies fuyants, comme dans une moderne Divine Comédie. Mais nous ne sommes pas encore en Enfer, mais sur Terre, dans une ville dévorée par le froid et la glace, où toutes les rencontres sont comme des enluminures. Chaque personnage est particulièrement bien campé, qu’il s’agisse de la femme de Petrov, bibliothécaire inquiétante aux yeux comme des trous noirs frémissants, son jeune fils étrange qui observe avec les yeux de l’enfance et, bien sûr, le personnage principal, Petrov, présent dans quasiment tous les plans, dessinateur de BD talentueux.


 

Son personnage est vraiment soigné et l’acteur qui l’incarne, Semion Serzin est subjuguant, à la fois chaleureux, sensuel et touchant. Il fallait une présence de cette puissance pour que le film incarne le cauchemar halluciné d’un homme, perdu entre son enfance avec des parents nudistes et une princesse des neiges qui lui apparaît par hasard.


 

On ne peut pas raconter La Fièvre de Petrov. Il faut se laisser happer par cette houle qui nous transporte très loin, dans cette Russie dostoïevskienne, et nous fait presque devenir un personnage du film. Chacun a connu cet état entre sommeil et veille que provoque une forte fièvre, dans cet entre-deux qui fait naître les terreurs et les angoisses.


 

Car ce film illustre ce que décrivait Jung, entre fascinans et tremendum, ce bourbier fait de fantasmes et de réalités duquel on tente de se dépêtrer avant d’y retomber encore plus lourdement. Tout, dans le personnage de Petrov, a été étudié, notamment ses tenues vestimentaires très réalistes - l’acteur traverse tout le film avec les mêmes vêtements.


 

C’est Tatiana Dolmatovskaya, la costumière, qui a eu l’idée de la manière de le vêtir. "Semion a apporté un pull de son père, et Kirill Serebrennikov nous a donné ses propres chaussures. Ensuite, j’ai cherché une peau de mouton. J’ai écumé tout Moscou, tout Saint-Pétersbourg, tout Internet, et j’ai fini par trouver la bonne. Dès qu’on a vu Semion avec ce pull, ces chaussures et cette peau de mouton, notre Petrov s’est matérialisé sous nos yeux".

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°412, décembre 2022

1. Leto de Kirill Serebrennikov (2018) a été sélectionné par de très nombreux festivals mondiaux, et, en sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2018, il s’est vu décerner le prix Cannes Soundtrack de la meilleure musique, pour Roman Bilyk et German Osipov.


La Fièvre de Petrov (Petrovy v grippe). Réal, sc : Kirill Serebrennikov d’après le roman de Alexeï Salnikov (2017) ; ph : Vladislav Opeliants ; mont : Youri Karikh. Int : Semion Serzine, Tchoulpan Khamatova, Youri Kolokolnikov, Ivan Dorn (Russie-France-Suisse, 2020, 145 mn).



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