par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021
Sélection officielle en Séance spéciale du Festival de Cannes 2021
Sortie le mercredi 15 décembre 2021
Porteur du rêve de voir un animal mythique en voie de disparition, Sylvain Tesson, en compagnie de Vincent Munier, célèbre photographe animalier, part pour les montagnes d’Asie centrale.
La Panthère des neiges offre une imagerie mettant à l’honneur les superbes paysages des sommets rocailleux, enneigés et solitaires de la région, dans un mélange de couleurs ocre, grise, brune ou blanche, dans lesquelles vient passer, ou se dissimuler, la faune locale. Un trouble pénètre régulièrement l’esprit lorsque les bêtes plongent leur regard plein cadre, observant les trois aventuriers ; une personnalité insondable semble luire au fond de leurs pupilles. La patience nécessaire à l’obtention de ces images confère au film, comme aux photos, de grandes qualités performatives, rendant d’autant plus riches et uniques les instants filmés ou photographiés.
Instants pourvus d’une fugacité portant en elle la fragilité et la vulnérabilité de l’écosystème visité. La puissante solitude et l’isolement de ces espaces sont renforcés par le travail effectué sur la bande sonore qui, lorsque la musique n’est pas employée, laisse une grande place au silence des environs, accentuant la force des propos murmurés par les aventuriers aux aguets. La structure du film est basée sur le principe de l’immersion : on plonge avec les deux cinéastes dans la recherche de cette fameuse panthère des neiges, dans leur attente, ce qui a pour conséquence de créer une forme de suspense accrocheur, amplifié par les impondérables régulièrement rencontrés au cours du voyage, comme celui de l’arrivée d’un petit groupe d’enfants tibétains souriants, semblant sortis de nulle part.
Plus que la panthère, c’est surtout le cheminement des deux hommes qui est le sujet du film, et à travers lui, la découverte de la philosophie qui prévaut à leur démarche. Une philosophie basée sur une conviction écologique (sans que jamais le mot ne soit prononcé) très loin d’un militantisme agressif, et dont le principe consiste à partager avec l’autre la poésie de ce monde sauvage.
Le film est lent, mais l’ennui éventuel est désamorcé par une forme hétérogène qui, aux instants de calme et de contemplation, sait faire place aux témoignages ou faire bon usage de la voix off de Sylvain Tesson. On pourrait reprocher à ses paroles leur caractère parfois convenu, du type : "Quelle horreur que le monde moderne ; quelle beauté que cette vie sauvage !" Toutefois, cet aspect est effacé par le fait qu’il prononce ces mots après être allé sur place et non pas s’être contenté de penser la chose depuis un intérieur parisien cossu. Face à ces sommets immuables, l’évocation de notre temps présent devenu fou, emballé, où tout change en l’espace de deux décennies, contribue à créer une forme de vertige.
Plus qu’une banale adaptation ou qu’un énième film animalier, c’est en définitive un beau voyage romanesque que donne à voir La Panthère des neiges.
Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021
La Panthère des neiges. Réal : Marie Amiguet & Vincent Munier, d’après le récit de Sylvain Tesson, Prix Renaudot 2019 ; sc : M.A. & Vincent Munier ; ph : M.A. & Léo-Pol Jacquot ; mont : M.A. & Vincent Schmitt ; mu : Warren Ellis & Nick Cave. Int : Sylvain Tesson, Vincent Munier (France, 2021, 92 mn). Documentaire.