Annecy italien 2000
publié le lundi 5 janvier 2015

Annecy italien 2000, 26 septembre-5 octobre 2000, 18e édition

par Christian Zimmer
Jeune Cinéma n°267 mars 2001

Au vu des films présentés cette année à Annecy au cours du festival, il semble difficile de soutenir encore qu’il ne se passe rien dans le cinéma italien.

À côté d’un Pupi Avati déroulant paresseusement le fil des souvenirs d’enfance (La via degli Angeli, 1999) ou d’un Carlo Mazzacurati signant un thriller pour rire qui, quoique fertile en rebondissements, n’en est pas moins fort prévisible (La lingua del santo, 1999), de jeunes cinéastes, souvent dans leur première œuvre, nous offraient en effet les fruits d’une recherche très élaborée, sur la nature de la temporalité propre au cinéma.

Pour dire la chose brièvement, ils se montraient beaucoup plus soucieux de la vérité de l’instant capté par l’appareil que par celle de l’agencement dramatique, commun en somme à la plume et à la caméra.

Ainsi, dans Un amore (1999), Gianluca Maria Tavarelli découpe son histoire - aux accents, il est vrai, un peu lelouchiens - en douze moments, dont il s’efforce de rendre l’intensité en s’astreignant au plan unique, quitte à recourir, pour développer la situation, aux mouvements d’appareil les plus complexes.
Le résultat est parfois saisissant, comme dans cette scène où le mari, derrière une porte cochère qui demeurera close, règle son compte à l’amant, tandis qu’en légère plongée, la police arrive et les passants s’attroupent sur le trottoir. Ajoutons que chaque moment-chapitre porte un titre, suivi d’une interprétation picturale de l’épisode (cette dernière alourdissant peut-être le film sans l’enrichir vraiment).

20 venti, de Marco Pozzi (1999), aventure des vingt cigarettes d’un paquet, ou plutôt de ceux qui les fument, joue de ce découpage en instants autonomes d’une façon encore plus radicale. Road movie féminin inventif et piquant, le film va jusqu’à souligner par le retour de longs plans totalement opaques la foncière discontinuité du récit. Faudra-t-il substituer à la vieille opposition Lumière-Méliès une opposition Lumière-Feuillade ?

Autre trait remarquable d’Annecy 2000 : la réapparition du cinéma politique et du cinéma social.

Trois films sur la Mafia, dont deux étrangement identiques dans leur projet - enquête sur l’assassinat d’un opposant à l’organisation -, le meilleur étant celui de Marco Tullio Giordana, I cento passi (2000), qui a la vigueur et la subtilité manquant à Placido rizzotto (Pasquale Scimeca, 2000), auquel fut attribué le Grand prix.
Mais Giordana ne pouvait y prétendre, déjà couronné par le prix Sergio Leone.

Guarda il cielo, de Piergiorgio Gay (2000) est une surprise encore plus frappante. L’auteur, l’un des premiers compagnons d’Olmi au sien du groupe Ipotesi Cinema semble certes avoir magnifiquement retenu les leçons de ce dernier, et c’est de cela que témoigne le premier volet de son film-tryptique (une paysanne que ses maternités à répétition empêchent de réaliser ses projets).
Mais le plus remarquable, c’est que les deux autres volets, situés dans des milieux très différents (une jeune bourgeoise qui veut poursuivre ses études, ce qui n’est pas du goût de son futur mari ; une ouvrière qui se met en grève dans l’entreprise où son époux est cadre), montrent les mêmes qualités de rigueur, de sobriété, de dignité, la même absence totale de pathos et d’esthétisme, et, cela va sans dire, de misérabilisme.

Dino Risi est considéré comme un cinéaste politique et un cinéaste social, et une grande partie de son œuvre le justifie. Mais lui-même ne paraît vouloir assumer que le rôle d’amuseur, et le public lui a fait fête.

Cependant, un film comme L’ombrellone (1965), jamais programmé en France, fait naître quelques interrogations : cette peinture féroce - le terme est faible - de la haute bourgeoisie italienne en vacances au bord de la mer, peinture qui, pendant près d’une heure et demie, et sans une minute de répit, étale le spectacle de la vulgarité et de la bêtise les plus épaisses, peut-on y voir seulement une matière à rire ?
Celui-ci, à vrai dire, finit par rentrer dans la gorge.
L’excès, ici, comme tout excès ressenti en tant que tel, engendre l’effroi. Cette vision de la plage avec le grouillement des baigneurs, l’alignement des cabines et des parasols à perte de vue n’évoque-t-elle pas du reste un univers dantesque, concentrationnaire, plus qu’elle ne traduit le ridicule vacancier ? Rendez-nous M.Hulot…

Un dernier mot sur le film le plus inattendu du festival : Fondali notturni, de Nino Russo (2000).
Film inclassable, dont on aurait envie de dire qu’il est plus proche de l’essai littéraire que du cinéma.
Film devant lequel on ne cesse de perdre pied, car tout y possède un double visage : le réalisme est aussi allégorie ou citation, la placette napolitaine est aussi scène de théâtre, la nuit est aussi ténèbres théâtrales, les gens de la rue sont aussi acteurs, les comédiens qui arrivent des coulisses sont aussi apparitions fantasmatiques, l’échange de banalités quotidiennes est aussi texte appris et récité… 
Le dernier plan est-il une clé ? Les spectateurs sont devenus spectacle, mais ce spectacle est celui de spectateurs tournant le dos à la scène et contemplant - sans doute ? - la réalité.

Christian Zimmer
Jeune Cinéma n°267 mars 2001

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