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Neige (1981)
de Juliet Berto & Jean-Henri Roger
publié le mercredi 5 janvier 2022

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1981 (Prix du film contemporain) et Sélection Cannes Classics au Festival de Cannes 2020.

Sorties les mercredis 20 mai 1981 et 5 janvier 2022


 


Pour s’introduire dans le Pigalle de l’orée des années 80, c’est par le biais de l’éclatement que procèdent Juliet Berto et Jean-Henri Roger. Celui d’un récit suivant de multiples personnages du quartier : Anita la barmaid (incarnée par Juliet Berto elle-même), Willy, Jocko le pasteur antillais, le travesti, le taxi, les flics et le dealer. Dealer dont la mort provoque la perturbation de ce fragile écosystème, poussant Anita et deux de ses amies à trouver de l’héroïne, de la "neige", pour son amie travestie sérieusement accro.


 


 


 

Le film fonctionne comme un entonnoir : partant de l’aspect fragmentaire et multiple du milieu, il se resserre à partir de la mort du dealer sur deux ou trois personnages à mesure que l’intrigue progresse, accentuant ainsi pression, tension et suspense. L’ambiance générale percute et touche, notamment du fait de son aspect documentaire, lorsque, tout en suivant les personnages à Pigalle, viennent s’inscrire au fond des cadres, dans les rues et dans les bars, toute la population du quartier. Logique servant l’immersion au sein de ce monde interlope et mettant en scène autant de sujets alors naissants : immigration massive et ravages grandissants de la consommation de stupéfiants.


 


 


 

Le film a l’intelligence d’éviter l’écueil récurrent de ce type de cinéma : celui d’une caméra à l’épaule ivre et tremblante, se voulant naturaliste ou hyperréaliste. S’il arrive que le cadre soit nerveux, ce n’est que pour répondre à la tension induite par l’action de l’instant. Le reste du temps, l’esthétique est construite avec calme autour de plans tantôt fixes, tantôt en mouvements, sachant même parfois se montrer beaux, notamment à cause des multiples néons et autres éclairages nocturnes alors en vogue. Le travail de la bande-son du film est particulièrement efficace et intelligent, avec ses coupes sèches d’un cadre à l’autre, accentuant son cachet documentariste.


 


 

Mais sa réussite tient surtout au fait que l’on s’attache vite à ses personnages, alors même que ceux-ci ne sont qu’esquissés, l’ensemble de leur passé étant renvoyé dans le hors champ, procédé contribuant à renforcer le caractère brut, pris sur le vif, de l’histoire.
Jean-François Stévenin demeure celui qui incarne son rôle avec le plus de virtuosité, de magnétisme et d’ampleur. Ampleur qui, et ce sera le point faible de l’œuvre, manquera par instant à d’autres membres du casting.


 


 

Cela ne tient pas tant à leur capacité de jeu, qu’au recours à des dialogues écrits dans l’optique du parler-vrai, mais qui, ainsi, sonnent parfois faux ou artificiels. Toutefois, cela s’oublie vite et on retiendra surtout la représentation de cette époque maintenant révolue et l’actualité des sujets d’inquiétude alors naissants. Neige se regarde agréablement et vaut le coup d’œil. Le film donne envie de se replonger dans les polars à la noirceur poisseuse et lugubre, si typique de cette période, comme Le Choix des armes, Garde à vue ou Tchao Pantin. (1)

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

1. Le Choix des armes de Alain Corneau (1981) ; Garde à vue de Claude Miller (1981) ; Tchao Pantin de Claude Berri (1983).


Neige. Réal : Juliet Berto & Jean-Henri Roger ; sc : J.B., J.H.R. & Marc Villard ; ph : William Lubtchansky ; mont : Yann Dedet ; mu : François Bréant et Bernard Lavilliers. Int : Juliet Berto, Jean-François Stévenin, Robert Liensol, Patrick Chesnais, Jean-François Balmer, Nini Crépon, Ras Paul I Nephtali, Paul Le Person, Anna Prucnal (France, 1981, 90 mn).



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