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Ouistreham (2020)
de Emmanuel Carrère
publié le mercredi 12 janvier 2022

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n° 410-411, septembre 2021

Sélection de la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2021

Sortie le mercredi 12 janvier 2022


 


Marianne Winckler, fausse prolétaire, mais vrai écrivain, arrive à Caen et cherche un poste de femme de ménage pour expérimenter de l’intérieur ce que subissent les catégories populaires. Adaptant le livre de Florence Aubenas, Emmanuel Carrère parvient à tenir une ligne de crête et évite deux écueils ravageurs pour ce type de sujet : l’accentuation mélodramatique et le parti pris militant. On ne poétise pas le milieu filmé, mais pour autant on ne l’enlaidit pas, le but étant d’éviter l’allégorie romancée ou la brutalité outrancière se voulant hyperréaliste. Pour ce faire, il a recours à un dispositif classique : celui de confronter une actrice professionnelle à des acteurs non-professionnels, les personnages sont saisissants et chacun a son moment tendre, tragique ou drôle.


 

Cet agencement, conférant une facture relativement documentaire au film, fonctionne pour deux raisons : le talent de Juliette Binoche, qui offre une très belle prestation, et l’utilisation du suspense pour introduire son personnage.


 

Ne dévoilant pas tout de suite la véritable identité de l’écrivain, Emmanuel Carrère instille mystère et ambiguïté autour de sa personne et de son objectif, ne découvre ses états d’âme qu’à mesure que l’intrigue progresse. Par ce type d’immersion, il rend plus sensible la question qui travaille le film : une telle démarche, même au nom des plus nobles intentions, n’est-elle pas d’une extrême violence pour les personnes issues du milieu infiltré ?


 

Le film permet ainsi d’interroger la place du regard de l’observateur, et notamment de questionner la distance nécessaire pour retranscrire la vérité ou la réalité d’un sujet, tout en mettant en évidence une inévitable rigidité entre classes sociales. Bien qu’il ne soit pas une pièce maîtresse de la filmographie de l’écrivain-réalisateur, (1) le film demeure intéressant et bien fait.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n° 410-411, septembre 2021

1. Ouistreham est le troisième film de Emmanuel Carrère, après sa fiction, La Moustache (2005) et le documentaire Retour à Kotelnitch (2003).


Ouistreham. Réal : Emmanuel Carrère ; sc : E.C. & Hélène Devynck, d’après Florence Aubenas ; ph : Patrick Blossier ; mont : Albertine Lastera ; mu : Mathieu Lamboley. Int : Juliette Binoche, Hélène Lambert, Léa Carne, Évelyne Porée (France, 2020, 106 mn).



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