Annecy italien 2002, 2-8 octobre 2002, 20e édition
par Marceau Aidan et Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°282 mai 2003
En octobre 2002, les Rencontres Annecy Cinéma Italien fêtaient leur vingtième édition.
Vingt ans de combat pour défendre, promouvoir le cinéma transalpin, devant la grande indifférence d’une presse, en particulier parisienne, s’attachant à enterrer trop rapidement le cinéma italien.
L’équipe fort soudée d’Annecy a su faire face, contre vents et marées à l’époque, au scepticisme ambiant quant à la valeur de tant d’acteurs et de réalisateurs italiens apparus après 1980.
Témoin depuis 1984 du travail de fond effectué lors de ces années, nous constatons, heureusement, qu’aujourd’hui le cinéma italien est un peu mieux pris en compte. Un abondant programme, un public fidèle, assidu, de nombreuses rencontres, le festival n’a rien perdu de sa vitalité. Des découvertes et des confirmations : Velocità massima de Daniele Vicari, La forza del passato de Piergiorgio Gay, Brucio nel vento de Silvio Soldini, que Jeune Cinéma a déjà découverts.
Jeune cinéaste de 27 ans, Nina Di Majo en est déjà, avec L’inverno, à son quatrième long métrage.
Son approche assez subtile des rapports psychologiques nous fait découvrir une réalisatrice prometteuse avec une histoire simple de rupture, somme toute banale, dans une sorte de huis clos. Quatre personnages, deux couples : Leo (Fabrizio Gifuni), jeune écrivain en manque d’inspiration, Marta (Valeria Bruni-Tedeschi), galeriste, femme de rigueur, claire sur ses intentions, confrontés à Gustavo, industriel quinquagénaire (Yorgo Voyazis), perpétuant une relation quasi névrotique avec Anna (Valeria Golino), fragile, dominée par cet époux aux tendances perverses ; perdue, elle tente de se rapprocher de Léo.
Le jeu des acteurs renforce l’acuité de la situation. Fabrizio Gifuni - que nous avions mal perçu dans notre précédent compte rendu d’Annecy l’an dernier - se révèle ici en symbiose avec son personnage. Valeria Bruni-Tedeschi et Valeria Golino confirment, s’il en était besoin, tout leur talent, dans la finesse d’appréhension de leur rôle.
Nina Di Majo, par sa mise en scène précise, son sens du placement des acteurs, l’atmosphère de crise si bien rendue, dépasse la problématique des relations entre couples pour mettre à nu le plus profond de l’être.
Deux comédies étaient inscrites au programme de la compétition officielle.
Incantesimo napoletano (Enchantement napolitain), de Paolo Genovese et Luca Miniero, s’identifie à la farce, tournant rapidement à l’étude de mœurs avec la déstabilisation de toute la famille de la jeune Assuntina, attachée d’une manière épidermique, primaire, aux dogmes de la tradition napolitaine.
Assuntina, ravissante petite fille, a, dès le départ, deux handicaps : elle est une fille avec toute la connotation machiste que cela induit, et elle parle avec l’accent milanais. Le film tourne autour de cette malédiction pour un Napolitain, entraînant la déprime profonde chez le père, la remise en cause de tout le système établi. Le comique de situation, s’appuyant sur la critique acerbe de la "napoletanité", comme disent les Italiens, tourne court, malgré les efforts des auteurs à dénoncer les mythes de la tradition.
Avec Mari del Sud (Mers du Sud), Marcello Cesena nous entraîne dans une comédie burlesque plus enlevée, avec des acteurs (Diego Abatantuono, Victoria Abril) accentuant les effets.
Dirigeant d’une société, Alberto est ruiné du jour au lendemain, son conseiller financier ayant fait la caisse. Craignant pour sa respectabilité professionnelle, il a recours à un gros stratagème. Officiellement, il part aux Caraïbes avec femme et fille. Mais c’est dans son immense cave transformée en plage de rêve que la famille ainsi réunie goûte aux joies des tropiques chez soi ; le tout se terminant par une succession de gags où la grande question posée est : comment vivre à trois dans des conditions d’enfermement volontaire sans la brise des mers du Sud.
I cavalieri che fecero l’impresa (Les chevaliers qui réussirent l’exploit) est le trentième film de Pupi Avati, que nous connaissons bien ici, pour avoir largement défendu ses films depuis le début des années quatre-vingt.
Avati s’intéresse à un groupe de chevaliers pendant l’hiver 1271, après la septième croisade, au cours de laquelle Louis IX perdit la vie. L’action se déroule en suivant les nombreuses péripéties de ces cinq chevaliers, entre épopée et aventures médiévales. L’objectif de ces jeunes gens est de retrouver le Saint Suaire à Thèbes, en Grèce, lieu improbable où des nobles du royaume de France le cachent. Leur longue entreprise s’achèvera par l’acquisition de la relique, mais aussi par leur mort brutale et injuste. Se voulant une grande fresque historique, le film manque de puissance, de souffle ; on en est à regretter le Pupi Avati poète des petites et grandes émotions.
Velocità massima marque les débuts dans la fiction de Daniele Vicari.
C’est un récit ancré dans le petit monde passionné des courses clandestines, qui se joue la nuit dans le quartier romain de l’EUR, et suit deux amis, Claudio, l’étudiant de 18 ans, en rupture avec sa famille, et Stefano, l’ouvrier de 30 ans, qui retape à Ostie des vieilles voitures.
Vicari définit lui-même son sujet comme "tout petit petit, mais qui s ‘étend comme une toile d’araignée, tissée de relations multiples". Un sujet qui vaut par la précision des détails, et qui échappe aux clichés attendus sur les courses de voitures. Cette passion vécue par des centaines de jeunes est plus causée par le goût du travail inventif que par l’enjeu marchand. On transforme des épaves en bolides, avec, en sus, l’espoir de s’assurer un avenir, mais aussi pour d’autres - et Claudio en est un exemple emblématique - en travaillant, en cherchant à aller toujours plus loin, plus vite, à être le meilleur.
Claudio est perfectionniste, expert en ordinateur ; il bouleverse la vie de Stefano, le pousse à des achats de matériel et à des emprunts hasardeux. L’engrenage ressemble à celui des jeux de hasard, mais développe chez le plus vieux une volonté de puissance et des attitudes de chef, alors que c’est le plus jeune qui assure les progrès de l’entreprise. Vicari a réduit au maximum la durée de courses, elles sont toujours filmées de l’intérieur, donnant le point de vue des conducteurs et les quatre courses ne durent en tout que six minutes. Un film sur l’argent, l’arrogance des riches qui s’assurent le succès avec des voitures de luxe, la volonté des plus démunis d’arriver à se hausser en tête et savourer un moment de gloire.
Un film sur les rapports de pouvoir qui rongent l’amitié. Le dénouement, dans sa brièveté nerveuse, se révèle un des plus inventifs, des plus drôles, et des plus poétiques du cinéma contemporain.
Ribelli per caso est le second film d’un auteur à découvrir, Vincenzo Terraciano.
Le sujet annoncé, la vie d’une chambrée d’hôpital mal traitée par un docteur à la fois absent et arrogant, relève d’un genre bien galvaudé par les séries télévisées. D’où la surprise heureuse d’une œuvre fraîche et drôle, qu’effleure la cruauté. On y retrouve des acteurs bien connus, Franco Scarpa et le très vieux Renato Murgia - le frère abusif du Pigeon de Monicelli.
L’hôpital est non seulement une antichambre de la mort, mais aussi un lieu de mauvais traitement, livré à l’arrogance toute puissante d’un chef d’étage sadique. L’un se sait condamné, sans jamais le savoir vraiment, l’autre est un enseignant napolitain ignoré et tenu prisonnier ; un patient obèse est privé de tout aliment solide et de vin, un mourant récalcitrant vit dans un coma peut-être simulé.
Quand la rébellion explose, initiée par le nouvel arrivé, elle est à la fois méchante contre le docteur, mais revigorante pour le groupe ou chacun retrouve son identité, la solidarité et la joie, brève, de vivre. Le temps d’un week-end dans l’hôpital déserté, la chambrée organise un festin digne de celui de Babette, exigeant une stratégie inventive pour commander les ingrédients, utiliser une cuisine, distribuer les tâches, et neutraliser l’infirmière de service.
Faute de s’entendre pour le choix d’un menu, Toscans, Napolitains, Romains et Milanais décident que chaque région sera représentée. Un film à déguster et non à raconter.
Disons seulement que la rébellion est contagieuse, comme dans les films soviétiques, qu’elle commence en grande bouffe et se poursuit en bonheur contagieux. Les autres salles, puis l’hôpital tout entier se mettent à danser. C’est alors, qu’au grand dam du docteur détesté, le directeur, puis la police, incapables de maîtriser la révolte des malades barricadés, acceptent les revendications de la petite bande. En chansons et danses, un temps de bonheur avant la mort annonce qu’un monde médical meilleur devrait être possible.
Marceau Aidan et Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°282 mai 2003