Massacré par ses distributeurs américains, qui ne lui réservèrent qu’une sortie TV et vidéo sous le titre de Cracking Up, ce qui restera probablement comme l’ultime long métrage de Jerry Lewis. Le titre original du film Smorgasbord, désigne une crise et sa résolution. "Smorgasbord" (1) c’est le mot qu’il "suffit" au héros, Warren Nefron, interprété par Jerry Lewis, de prononcer pour être in fine délivré de ses névroses, en les transférant par là même à son psychiatre.

Mais pour en arriver là, Jerry Lewis, conscient d’avoir réalisé un grand patchwork (un "Smorgasbord," donc) aura multiplié des épisodes et sketchs apparemment décousus autour de quelques motifs dont la noirceur étonne. C’est un suicide raté qui, dans une tonalité funèbre, ouvre le film, prélude à une série de tentatives avortées, au revolver, à l’automobile, à l’essence…

Venant après une "mauvaise passe", celle des années 70, le film lui donne l’occasion de refaire ses gammes, comme ce grand enfant, qui réapprend à marcher dans le cabinet ultra glissant de son psy.

Proprement irracontable, Smorgasbord se déroule comme un mauvais rêve à la logique parfois insaisissable, un symptôme, en vrac, de l’hystérie consumériste, de l’aliénation par le travail, de la société du spectacle, et de Jerry Lewis lui-même, Who else ?...

Le trait est sec, le rire se fige plus d’une fois, certains gags frisent l’épure, d’autres font long feu. Acte manqué à divers titres : film quasi raté - ce qui ne m’empêche pas de l’aimer -, suicides eux-mêmes manqués, l’ouvrage est de la sorte un énorme lapsus de lui-même. À moins que ce ne soit l’inverse. Non pas un "grand film malade" mais un film de grand malade.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

1. En suédois, le mot "smorgasbord" équivaut à "hors-d’œuvre variés".

T’es fou, Jerry ! (Smorgasbord) aka Cracking Up. Réal : Jerry Lewis ; sc : J.L. & Bill Richmond ; ph : Gerald Perry Finnerman ; mont : Gene Fowler Jr. ; mu : Morton Stevens. Int : Jerry Lewis, Herb Edelman, Milton Berle, Sammy Davis Jr., Foster Brooks (USA, 1983, 89 mn).