par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°413-414, février 2022
Sélection Orizzonti à la Mostra de Venise 2021. Film d’ouverture.
Sortie le mercredi 26 janvier 2022
À Venise, dans la salle Volpi, il y avait 40 spectateurs sur 77 places offertes, pour une capacité de 149 (1), pour voir le deuxième long métrage de Thomas Kruithof. C’est peu, après La Mécanique de l’ombre (2016), un thriller "kafkaïen" selon ses propres termes, prometteur et sorti un peu partout en Europe.
Dans une banlieue parisienne, Clémence, la Maire (Isabelle Huppert), genre PS, marraine sa successeuse pressentie, issue des "quartiers populaires" (Naidra Ayadi), et son directeur de cabinet (Reda Kateb). Elle-même devrait rallier une équipe ministérielle. Dans sa municipalité, il y a un abcès : une cité de 3000 logements mal entretenus, ça fuit, ça s’effondre. Des marchands de sommeil y louent 10m2 insalubres 700 euros par mois, cafards compris.
La municipalité demande sans succès à l’État 63 millions pour réhabiliter l’ensemble, les résidents s’organisent cessent de payer les charges, Clémence tente de les rallier au cours d‘une réunion publique proposant un bouc émissaire… Les fâcheux des couches supérieures comme des couches inférieures magouillent, Clémence se fait avoir, une naïveté dont on s’étonne, son directeur de cabinet et l’aspirante aussi. Ça rebondit.
Tout y est : des processus parallèles à temporalités diverses. Le long terme, la corrosion négligée, la bureaucratisation des appareils, la sédimentation des liens d’anciens camarades d’enfance ; le moyen terme, des inondations, des réclamations, des petits trafics, des intérêts électoraux, des intérêts personnels, des connivences de militances ; le court termes : les agendas. Et l’instantané : ces occasions d’exploiter la brève plage d’intersection entre des processus peu visibles à l’œuvre.
La fin s’articule à une de ces séquences sociales charnières, dont Lénine disait, en 1918, que les tâches immédiates des soviets consistaient à savoir les saisir pour permettre le passage à l’étape suivante. Reda Kateb repère la fenêtre de tir qui permet d’infléchir le cours des choses, moyennant la mobilisation de toute son expérience, de toutes les alliances récupérables. La moue, parfois lassante, de Isabelle Huppert évoque ici un sage réalisme. À part peut-être le jeunot saboteur, un peu outré, ils sont tous parfaits.
"J’avais envie de m’intéresser au courage politique, et il m’a semblé que c’était à l’échelon local qu’on pouvait encore y croire" dit Thomas Kruithof.
Ce qu’il y a de commun avec son premier film, c’est le rapport de l’individu face au système. Ce deuxième film, au scénario foisonnant, croquant les multiples facettes d’une campagne électorale municipale à l’échéance d’un mandat de compromis, de compromissions et d’ambitions, d’une certaine façon, est rassurant. Le fonctionnement de ces institutions reste donc assez accessible pour qu’on puisse en restituer un récit varié, crédible, contradictoire, familier.
Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°413-414, février 2022
1. À la Mostra de Venise, les conditions de réservation des places étaient si mal organisées et si insupportables, cette année, y compris dans la somptueuse salle de presse, qu’il est possible que beaucoup aient renoncé.
Les Promesses. Réal : Thomas Kruithof ; sc : T.K. & Jean-Baptiste Delafon ; ph : Alex Lamarque ; mont : Jean-Baptiste Beaudoin ; mu : Grégoire Auger ; déc : Olivier Radot ; cost : Carine Sarfati. Int : Isabelle Huppert, Reda Kateb, Naidra Ayadi, Jean-Paul Bordes, Soufiane Guerrab, Laurent Poitrenaux, Hervé Pierre, Walid Afkir, Anne Loiret, Stefan Crepon, Vincent Garanger, Youssouf Wague, Bruno Georis, Mama Prassinos, Gauthier Battoue, Christian Benedetti, Mustapha Abourachid, Rosita Fernandez (France, 2021, 98 mn).