par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021
Sélection officielle aux festivals de Toronto et de San Sebastián 2021
Sortie le mercredi 2 février 2022
Un nouveau film de Laurent Cantet est forcément une promesse, tant il nous a habitués à nous entraîner sur des terrains variés. Et que lorsqu’il aborde un sujet précis, c’est toujours pour le creuser avec rigueur et inventivité. Rien que par son titre Arthur Rambo (1) suscite la curiosité. Un court texte en exergue du film nous informe qu’il s’inspire d’une histoire réelle, celle de Mehdi Meklat qui chroniquait pour des médias nationaux jusqu’à ce que soient révélés des milliers de tweets antisémites, homophobes, racistes, sexistes qu’il avait postés quelques années auparavant.
Dans le film, le personnage devient Karim D., jeune Maghrébin de banlieue, dont le premier roman connaît un succès immédiat qui le rend tout de suite célèbre, au point que, lors d’un cocktail mondain organisé par son éditeur, on lui propose d’en faire une adaptation cinématographique. Au cours de cette même soirée, quelqu’un propage, sur un réseau social, les messages qu’il postait il n’y a pas si longtemps sous le pseudo "Arthur Rambo", sous forme de provocation potache, mais dont le contenu vient briser en plein vol sa célébrité naissante.
Cette première partie du film permet à Laurent Cantet de cerner clairement ce qui est le centre de sa thématique, à savoir celle de la place prise par les réseaux sociaux dans notre société et les dégâts qu’ils occasionnent. Pour le jeune Karim en premier lieu, bien qu’il ne s’agisse en aucun cas de s’apitoyer sur son sort, ni même de porter un jugement moralisateur. Laurent Cantet garde constamment la juste distance sur ce que devient sa descente aux enfers.
En suivant son errance nocturne qui le ramène de l’autre côté du périphérique, vers la banlieue qu’il venait à peine de quitter, il a désormais rendez-vous avec son milieu de départ, les proches qu’il vient de placer, de manières différentes, en porte-à-faux avec eux-mêmes. Ses copains de la télé locale, dont la voix se trouve d’un coup décrédibilisée. Sa mère, dont les espoirs qu’elle avait mis en lui s’envolent et qui sait que la rumeur va se propager jusque dans son village d’origine. Son jeune frère, qui voyait dans ses tweets une forme de révolte contre la situation des jeunes de banlieue. Cela donne lieu à une scène particulièrement forte par l’intensité du jeu des deux jeunes acteurs dans le décor d’un appartement vide et délabré.
À travers cette histoire, le réalisateur montre combien la place prise par les réseaux dits sociaux transforme les rapports humains, en permettant toutes sortes de dérives, de manipulations sous le couvert de l’anonymat. Mais aussi la manière dont, insidieusement, le téléphone portable, en particulier, conditionne nos comportements, nos attitudes. La scène dans laquelle Karim prend le métro au milieu de gens qui ont presque tous la tête baissée vers leurs écrans le plonge dans une quasi panique (et nous aussi), tant il craint que tous soient en train de découvrir ce qui semble se propager comme une traînée de poudre. Visuellement, le texte des messages s’affiche à l’écran, d’abord isolés et facilement lisibles, puis progressivement comme une invasion du cadre que le spectateur n’a plus le temps de déchiffrer totalement. Reflet de cette forme de vertige dans lequel tombent ceux qui se laissent prendre par cette addiction.
Laurent Cantet imprime à son film un rythme soutenu, par un scénario resserré dans le temps, mais aussi en éludant certaines explications trop didactiques. Ainsi, rien ne nous est dit sur l’écrivaine que va voir Karim vers la fin du film. On peut sans doute le regretter. Mais sur bien des points, il suffit de bien regarder ce que l’image capte pour ne pas avoir besoin de digressions. Pas de longs discours sur l’état de la banlieue. Tellement d’autres films nous en ont abreuvés. Ici, un seul plan en plongée par la fenêtre d’un immeuble pour appréhender l’abandon qui prévaut.
Bernard Nave
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021
1. Ne pas confondre avec le court-métrage Arthur Rambo de Guillaume Levil (2018).
Arthur Rambo. Réal : Laurent Cantet ; sc : L.C., Fanny Burdino & Samuel Douc ; ph : Pierre Milon ; mu : Chloé Thévenin. Int : Rabah Nait Oufelia, Antoine Reinartz, Sofian Khammes, Bilel Chegrani, Sarah Henochsberg, Anne Alvaro, Malika Zerrouki (France, 2021, 87 mn).