Annecy italien 2005, 27 septembre-4 octobre 2005, 23e édition
par Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°302, mai 2006
En cette vingt-troisième édition, le programme proposé par Jean A. Gili et Pierre Todeschini comportait un hommage au cinéma de Bologne et de l’Émilie-Romagne, avec la présence forte de la cinémathèque de Bologne et de son directeur Gian Luca Farinelli, et neuf films en compétition où se révèlaient à la fois des jeunes réalisateurs tels que Giovanni La Parola (né en 1975), Francesco Munzi (né en 1969), Paolo Genovese, Luca Miniero, et des cinéastes confirmés comme Pasquale Scimeca ou Antonietta De Lillo.
Stefano Rulli présentait son premier long métrage Un silenzio particolare, un documentaire lui aussi bien particulier.
Depuis 1975, Rulli a écrit de nombreux scenarii, et coréalisé deux films très importants : Matti da slegare (Fous à délier) et La macchina cinema (cf. JC n° 114,119 et129). Cette fois, Rulli s’est engagé en effet dans une voie difficile, non sans risques. Pendant soixante-quinze minutes, il filme dans sa quotidienneté, Matteo, son fils autiste âgé de 25 ans.
Avec l’aide de son épouse, l’écrivain Clara Sereni, Stefano Rulli surmonte les difficultés de cette expérience face à son fils handicapé. C’est une lutte sans répit des parents et de l’enfant aimé pour lui permettre de ne pas être mis de côté, de rester dans une certaine normalité. Avec beaucoup de tact, Rulli se laisse filmer avec son fils dans les moments où les relations deviennent difficiles, où l’affrontement père-fils se fait rude. Mais ceci débouche sur des éléments positifs ; ainsi Matteo peut, à 25 ans, avoir une vie plus autonome.
Documentaire singulier par son approche du douloureux problème de l’enfant privé de son fonctionnement normal, magnifié par la présence d’un père à l’écoute permanente de son fils, Un silenzio particolare est un film plein d’amour et de tendresse.
Un autre long métrage, de fiction celui-là, traite indirectement du problème relationnel occasionné par la présence d’un jeune homme atteint de trisomie.
Roberto Quagliano avec Fratelli d’Italia aborde par le biais d’un scénario pas spécialement inventif - la traversée de l’Italie du Nord au Sud en camping-car par deux frères dont l’un est handicapé, pour aller assister au mariage de leur sœur - la délicate question du rapport aux autres et au monde, pour un être atteint par cette maladie génétique. Tout au long de leur périple, les deux frères affrontent les comportements négatifs, intolérance, racisme latent ou déclaré, des gens qu’ils rencontrent. Devant ces défis au quotidien, avec une grande justesse de ton, Roberto Quagliano nous montre la force de l’amour fraternel : les deux frères vont se rapprocher en découvrant leur profond attachement.
Dans Il resto di niente, Antonietta De Lillo, témoigne du changement de cap. Elle avait réalisé son premier long métrage, Una casa in bilico, en 1985. Après Matilda, en 1990 (cf. JC n° 206), elle était tournée vers l’expérimentation vidéo en s’intéressant aux artistes et aux femmes. C’est ainsi le cas dans Il resto di niente, où elle suit l’itinéraire d’Eleonora Pimentel de Fonseca, issue de la grande noblesse portugaise, dans la tourmente révolutionnaire de la fin des années 1790 à Naples.
Cette femme prendra fait et cause pour les idées et les actions de la Révolution : poétesse, écrivain, journaliste, vrai personnage de femme des Lumières, elle mourra sur l’échafaud à 47 ans, victime de la répression des Bourbons d’Espagne régnant sur Naples depuis 1734.
Alain Bichon dans son excellent Les Années Moretti, dictionnaire du cinéma Italien -1975-1999 (Acadra Distribution Annecy-cinéma Italien) se demandait si Antonietta De Lillo "trouvera le moyen d’introduire ses expérimentations dans le cinéma plus classique". Dans Il resto di niente, nous percevons cette envie de la cinéaste d’être proche du personnage principal, dont elle fait un très beau portrait, femme solitaire, incomprise dans sa volonté de changer le monde. Maria de Medeiros, par son jeu tout en finesse, renforce l’intérêt que l’on porte à cette participante d’un événement majeur de l’histoire contemporaine.
Dans son dernier long métrage, Alla luce del sole (À la lumière du soleil,) Roberto Faenza (qui a déjà réalisé une dizaine de films depuis 1968) s’intéresse aux méfaits de la mafia en Sicile, en s’appuyant sur un fait réel : le 15 septembre 1993, le père Don Giuseppe Puglisi était assassiné par la mafia dans le quartier de Brancaccio à Palerme.
Le réalisateur met en valeur ce personnage charismatique, plein de bonté, fidèle aux enseignements des Évangiles. Son objectif est d’éviter que de nombreux enfants de sa paroisse ne soient désœuvrés, proies des rues faciles pour les recruteurs de la mafia. Il crée un centre d’accueil où les enfants trouveront chaleur humaine et activités créatives. Film sans concession sur l’inefficacité des pouvoirs publics en Sicile qui ont laissé seul cet homme de bonne volonté.
Alberto Bassetti avec Sotto e sopra il ponte, traite des problèmes de l’adolescence. Il vient du théâtre où il a déjà monté Sotto e sopra il ponte.
Dans les grands ensembles des quartiers périphériques de Rome, vivent plusieurs adolescents inactifs, rêvant d’une autre vie et d’une vraie place dans la société. Alessandro, Deborah s’aiment et ont en commun de ne pas s’entendre avec leurs parents respectifs. Au-delà des conflits de génération, Bassetti nous décrit avec réalisme la situation des jeunes confrontés à des familles monoparentales et un environnement social difficile.
Avec un même sujet, celui des relations difficiles des adolescents avec leurs parents, c’est Francesco Munzi avec Saimir, qui a reçu le Grand Prix du Festival.
Saimir, 16 ans, vit seul avec son père. Il fait partie de la seconde génération d’Albanais venus en masse en Italie à la fin des années 1990. Il a bien du mal à s’intégrer malgré l’affection que lui porte sa petite amie italienne. Munzi s’entoure d’acteurs d’origine albanaise, comme Mishele Manoku et Xhevdet Feri, pour donner plus d’authenticité aux personnages. Edmond, le père, vit dans un village délabré du littoral du Latium, et rêve comme son fils d’une situation plus équilibrée.
Pour cela, il se marie avec Simona, une Italienne, ce qui n’arrange pas ses rapports avec Saimir. L’adolescent frôle la délinquance. La crise va atteindre son sommet quand il découvrira que son père est lié à un trafic d’immigrés clandestins et à une affaire de prostitution de mineures. Saimir affronte la figure paternelle et l’image de l’Albanais émigré toujours sur la défensive, dans l‘ombre, petit trafiquant sans dignité, sans scrupules, même si son but est de reconstruire une famille et de vivre normalement.
Le jeu des acteurs, la tension permanente dans la progression du film, le télescopage entre les problèmes difficiles des rapports père-fils et ceux de l’intégration font de Saimir un film percutant.
Marceau Aidan
Jeune Cinéma n°302, mai 2006