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Vous ne désirez que moi (2020)
de Claire Simon
publié le mercredi 9 février 2022

par Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle du Festival de San Sebastián 2021

Sortie le mercredi 9 février 2022


 


Vingt-cinq ans (bientôt vingt-six ce 3 mars) après sa disparition, Marguerite Duras fait toujours l’actualité : Susanna Andler de Benoît Jacquot est sorti le 21 juin 2021, Azuro de Matthieu Rozé sortira le 30 mars 2022. Entre les deux, Vous ne désirez que moi. Depuis le numéro spécial de Jeune Cinéma (1), son nom est apparu dans plus de dix génériques, qu’il s’agisse d’une adaptation - le zénith étant atteint par La Douleur de Emmanuel Finkiel (2017), (2) ou d’une évocation de l’écrivaine, comme ici. Qui eût cru qu’après avoir subi tant de rejets - qu’on se souvienne de l’accueil du Camion à Cannes en 1977 -, et de moqueries - les parodies de India Song (1974) -, son nom soit encore une caution auprès de producteurs assez audacieux pour se risquer à des financements qu’on peut imaginer peu rentables ? Et pourtant, le fait est là, l’industrie ne se trompe pas (3).


 

Ce n’est pas par la face Nord que Claire Simon a abordé le mont Duras, mais de biais, par un sentier circulaire, en laissant l’œuvre de côté et en s’attachant à la personne (d’ailleurs aussi fascinante que son œuvre), à partir du livre d’entretiens entre Michèle Manceaux et Yann Andréa, le compagnon des seize dernières années de MD, entretiens publiés en 2016, deux ans après la mort de celui-ci, sous le titre Je voudrais parler de Duras. (4) Il avait déjà rédigé, en 1999, Cet amour-là, dans lequel il racontait leur rencontre et sa vie avec Marguerite.


 

Aussi, sur le fond, les dialogues n’apprenaient-ils pas beaucoup de détails supplémentaires sur cette histoire d’amour sans guère d’équivalents, relation passionnelle entre un homosexuel et son aînée de trente-huit ans. Mais par la façon dont Michèle Manceaux, en grande professionnelle, menait la barque, ils rendaient peut-être mieux compte de l’aspect parfois monstrueux de leurs rapports. L’intelligence de la réalisatrice est d’avoir joué le jeu de la simplicité : pas de fioritures formelles, pas de recréation vaine de la tonalité de l’auteure, si mal reproductible - cf. l’échec de Susanna Andler, Benoît Jacquot, pourtant aguerri, ayant "fait" du Duras -, une succession de champs-contrechamps ou de panoramiques latéraux minimes. Tout est dans le verbe (le Verbe), comme Marguerite l’avait appris à Yann.


 


 

Et la parole déborde : il décrit son amour pour ses textes, sus par cœur avant même de la rencontrer, la tyrannie quotidienne qu’elle lui fait subir, véritable phagocytose qu’il accepte sans barguigner, la fascination du dominé qui lui fait aimer son esclavage. Fulgurances et déchirements, masochisme et sublimation. De temps en temps, Claire Simon fait appel à quelques archives pour souligner le propos. La séquence où l’on voit Duras diriger Andréa - est-ce dans L’Homme atlantique ou dans Agatha ou les lectures illimitées, tous deux de 1981, on ne sait - est un superbe morceau. Tout ce qui aurait pu être austère - deux acteurs assis face à face - est en réalité très fluide, jamais l’attention (ni la tension) ne se relâche. Cette tension jamais relâchée, on la doit aux deux interprètes, l’un et l’autre éblouissants, et qui jamais ne versent dans le numéro prévu.


 


 

On savait Emmanuelle Devos grande actrice, même si on rechigne parfois à la suivre lorsqu’elle joue sur ce registre attendu. Elle est ici remarquable, comme si elle avait observé son modèle au fil des années, modulant ses questions, éveillant chez son interlocuteur, sans jamais le traquer, les réactions et les aveux qui feront la qualité de l’entretien. Quant à Swann Arlaud, il y a belle lurette qu’on l’avait classé parmi les comédiens à suivre attentivement, étonné, malgré la fréquence de ses apparitions (vingt films ces cinq dernières années), par sa capacité à se glisser dans un personnage, quel qu’il soit. Il est cette fois impeccable, écorché parfait, Yann A. plus vrai que nature. On ne peut que lui souhaiter d’autres rôles de cet acabit.

Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Jeune Cinéma n°357, hiver 2014.

2. La Douleur de Emmanuel Finkiel (2017), César du meilleur réalisateur 2019.

3. Ce n’est pas un hasard si imdb répertorie quatre-vingt-deux titres (non compris celui-ci) autour de son œuvre, entre 1957 et 2021.

4. Yann Andréa & Michèle Manceaux, Je voudrais parler de Duras. Entretiens, Paris, Pauvert-Fayard, 2016.
Yann Andréa, Cet amour-là, Paris, Pauvert, 1999.



Vous ne désirez que moi. Réal, sc : Claire Simon, d’après Je voudrais parler de Duras de Yann Andréa (2016) ; ph : Céline Bozon ; mont : Julien Lacheray ; mu : Nicolas Repac. Int : Swann Arlaud, Emmanuelle Devos, Christophe Paou, Philippe Minyana (France, 2020, 95 mn).



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