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Laperrière, Simon (livre)
Series of Dream. Bob Dylan et le cinéma (2018)
publié le vendredi 14 février 2020

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°391, décembre 2018

Simon Laperrière, Series of Dream, Bob Dylan et le cinéma, 2018.


 


À peine évoqué, dans une note du précédent numéro, le foisonnement des ouvrages concernant l’avant-dernier prix Nobel de littérature, ce sont deux nouveaux volumes qui sont venus rejoindre sur nos rayons leurs pairs en exploration de la Dylanie. L’un, britannique, et tout à fait passionnant, mais essentiellement centré sur "his poetic genius", comme précise le "prière d’insérer" (1), l’autre, français - en réalité franco-québécois, car rédigé par un universitaire de Montréal -, et plus exactement intéressé par les rapports de Bob Dylan avec le cinéma. Enfin !

Oui, enfin (bis), car le dernier ouvrage qui se soit penché sur la question, extrêmement tordue, des relations entre Bob Dylan et le 7e Art remonte à l’an 2000 (2), et une remise à jour s’imposait. Même si la visée n’est pas tout à fait identique (Dylan et le cinéma d’un côté, les films de Dylan de l’autre), le champ de recherches est de nature similaire.

Depuis les travaux de C.P. Lee, les titres importants se sont multipliés, No Direction Home de Martin Scorsese (2005), I’m Not There de Todd Haynes (2007), The Other Side of the Mirror de Murray Lerner (2007), My Own Love Song de Olivier Dahan (2009), Inside Llewyn Davis de Coen Bros (2013), jusqu’au remarquable Trouble No More de Jennifer Lebeau (2017), avec un Michael Shannon époustouflant - on en oublie peut-être. Il y a donc tout un territoire visuel encore inexploité, et on se réjouit de voir un spécialiste s’y employer.

Mais l’ouvrage commence mal, en reproduisant en couverture la célèbre photo qui figure sur le recto du coffret No Direction Home, Bob Dylan, lunettes noires et mains dans les poches, sur fond de Rolls Royce, et en la légendant : "Dont Look Back de D.A. Pennebaker". Or si elle a bien été prise en Grande-Bretagne, la photo ne date pas de la tournée anglaise de 1965, sujet du film de D.A. Pennebaker, mais de la tournée mondiale de 1966 avec The Hawks. Elle n’apparaît donc pas dans Dont Look Back, mais dans les chutes de Eat the Document, coréalisé par Howard Alk et Bob Dylan - film fondamental, car ce dernier le voyait comme un "anti-Dont Look Back", dont il n’était pas satisfait.
On peut s’étonner d’une telle erreur de la part d’un dylanologue, et comme un rapide survol de la table des matières n’indique aucune mention de Eat the Document, auquel C.P. Lee consacrait pourtant vingt-cinq pages, on s’interroge sur le silence à propos d’un titre aussi important, puisque c’est l’un des deux seuls signés par le chanteur, avec Renaldo and Clara (1978). Certes, le film n’est pas accessible officiellement, mais depuis quand les amateurs de Dylan se soucient-ils de l’officialité ?

Ce même survol de la table nous a surpris. Plutôt qu’une approche chronologique, de Madhouse on Castle Street (1963) à Trouble No More (2017), que l’auteur semble ne pas connaître, les chapitres se présentent en désordre : Pat Garret and Billy the Kid (1973) avant Dont Look Back (1967), Hearts of Fire (1987) après I’m Not There (2007). Il s’agit sans doute de l’influence des Chroniques, vol. 1, dans lesquelles Bob Dylan adoptait une construction apparemment décousue, les épisodes se carambolant au fil de la narration - construction en réalité fort subtile et savamment (dés)organisée. (3)
Pourquoi pas ? L’ambition n’est pas un handicap. Encore faut-il qu’elle soit opérante. Or ici, on ne perçoit pas le besoin de traiter Backtrack de Dennis Hopper (1990) avant le screen-test de Bob Dylan par Andy Warhol (1965), sinon pour compliquer inutilement la présentation. (4)
En outre, on perçoit mal la pertinence des critères qui ont présidé au choix des exemples. Un chapitre entier sur Jean-Luc Godard, sous prétexte que dans Masculin féminin (1966) et dans Je vous salue, Marie (1985), le nom de Bob Dylan est cité, et qu’ils ont eu tous les deux un accident de moto, c’est tirer un peu fort sur la corde de l’analogie.

Idem pour Bombay Beach de Alma Harel (2010), que l’on regrette de ne pas connaître : deux pages parce qu’un couple d’adolescents y danse sur Tomorrow Is A Long Time et qu’on entend deux mesures de Series Of Dream, c’est pousser le bouchon encore plus loin.
Idem (bis) : deux pages sur l’apparition de Bob Dylan, le temps d’une chanson, dans la série télévisée Dharma and Greg (1999) (5). Au dernier pointage, 755 films contiendraient une chanson de Bob Dylan : pourquoi ne pas faire une place à chacun ?

Tout n’est pas de ce calibre, heureusement.
Les chapitres sur Renaldo and Clara et I’m Not There sont justes et précis, même si le premier nécessiterait une approche plus détaillée (seulement quatre pages pour ce film-monstre de quatre heures) (6), et le second une brochure tout entière.

Nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec la descente en flammes de Hearts of Fire, qui ne s’écroule pas, à nos yeux, sous les clichés, comme l’affirme Simon Laperrière. Il y en a, certes, et la réalisation de Richard Marquand ne les transcende pas. Mais l’interprétation de Bob Dylan est tout sauf maladroite. Parfaitement à l’aise, il se promène dans le film sans y croire une seconde, joue décalé, se moque de lui-même avec une belle prescience ("Je ne suis pas un rocker qui remportera un jour le prix Nobel"). Le film mériterait une édition tardive, meilleure que celle trouvable chez les bootleggers.

Quant à Inside Llewyn Davis, il y a là une erreur d’interprétation : le héros du film, folk-singer qui rame d’un contrat à l’autre, n’est pas un portrait dylanien "du poète s’il n’avait pas connu le succès" (p. 133), mais celui de Dave Van Ronk, célèbre à Greenwich Village en 1960 - il était surnommé "le maire de McDougall Street" -, qui a d’ailleurs publié ses mémoires sous le titre de Inside Dave Van Ronk. Un chanteur qui ressemble à Bob Dylan apparaît à la toute fin du film, chantant Farewell, clin d’œil destiné à Van Ronk-Oscar Isaac, en forme d’adieu à son époque - times are a-changin’.

Il est toujours agréable de lire quelque chose sur le sujet. Mais on a la vague impression que les relations, biscornues mais passionnantes, entre Bob et le cinéma n’ont pas fini être abordées. Il y a encore de quoi dire.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°391, décembre 2018

P.S. : La liste des coquilles et erreurs est à la disposition des amateurs. Écrire à la revue.

1. Do You, Mr. Jones ? Bob Dylan with the Poets and the Professors, edited by Neil Corcoran, with a new foreword by Will Self, London Vintage, 384 p.

2. C.P. Lee, Like a Bullet of Light, The Films of Bob Dylan, London, Helter Skelter, 2000, 224 p. Le (seul ?) précédent : Gavin Liddle, Images and Assorted Facts, A Peak Behind the Picture Frame, Manchester, The Print Center, 1983, 100 p.

3. Bob Dylan, Chroniques, Volume 1, New York, Simon & Schuster, 2004. Traduction de Jean-Luc Piningre, Paris, Fayard, 2005.

4. On peut d’ailleurs se demander pourquoi consacrer deux pleines pages au film de Dennis Hopper, l’apparition de Dylan n’étant qu’un gag de quelques dizaines de secondes.

5. Apparition qui, selon l’auteur, le "rabaisse au plus bas niveau de la culture de masse"… (p. 93)

6. Avec une erreur : la sortie n’a pas été réduite à trois villes américaines avant que la copie ne soit coupée (non à 90, mais à 120 minutes, durée de la version projetée à l’Institut Lumière en décembre 2007). En outre, le film était visible à Londres (où nous le vîmes, dans un cinéma de Camden), en septembre 1978, dans sa version de 235 mn, celle qu’on trouve en cherchant un peu sur la Toile.


Simon Laperrière, Series of Dream, Bob Dylan et le cinéma, Aix-en-Provence, Rouge profond, 2018, 142 p., 17 €



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